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Le lourd bilan de l’Anbar, l’« oubliée » d’Irak

Children in the western Iraqi city of Ramadi survey the damage to their area. Militants from the Islamic State organisation took control of parts of the city earlier this year, with retaliatory government bombs often killing civilians. Picture supplied to IRIN
Depuis neuf mois, les pilonnages, les frappes aériennes et les combats de rue ont fait de nombreux morts dans l’Anbar, la province « oubliée » d’Irak, qui a été la première à tomber entre les mains des extrémistes du groupe qui se fait désormais appeler l’État islamique (EI).

Les villes de Ramadi et Fallouja ne sont plus que ruines : d’après les habitants et des travailleurs humanitaires, les hôpitaux, les habitations, les écoles et les mosquées ont été détruits, les ponts se sont effondrés et les rues des quartiers résidentiels, criblées de balles, ont été désertées.

Les Nations Unies estiment à 500 000 le nombre d’habitants de l’Anbar déplacés depuis le début des combats entre l’EI et les forces de sécurité irakiennes fin décembre. Plus des deux tiers de ces familles n’ont pas quitté le gouvernorat et ne reçoivent peu ou pas d’aide humanitaire en raison de l’insécurité. La semaine dernière, l’EI s’est emparé d’une bonne partie de la ville de Hit, qui accueille près de 100 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP).

Sabah Karhut, président du conseil provincial de l’Anbar, a dit à IRIN qu’il avait l’impression que la province avait été « oubliée ».

« La communauté internationale n’a rien fait dans l’Anbar. Nous voulons [qu’elle] s’implique davantage et aide notre population. Il y a tellement de personnes déplacées [...] Nous avons besoin de médicaments, de nourriture. »

Des bombardements meurtriers

La campagne de bombardements menée à l’initiative des États-Unis dans l’ouest de l’Irak depuis un mois n’a pas encore atténué la crise humanitaire qui sévit dans la région. Ces derniers mois, les extrémistes de l’EI ont revendiqué de larges zones de territoire et leurs méthodes brutales ont causé des déplacements massifs de populations.

D’après le dernier Aperçu des besoins humanitaires, publié le 25 septembre par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), il y aurait 360 803 PDIP dans l’Anbar et 115 000 personnes dans les zones qui se trouvent sous le contrôle de groupes armés. Au total, 63 pour cent des 1,6 million d’habitants de la région sont considérés comme étant « dans le besoin ». C’est le taux le plus élevé de toutes les provinces et 98 pour cent des PDIP y ont signalé  avoir un accès insuffisant à de la nourriture.  

Certains déplacés sont hébergés par des proches ou par des communautés d’accueil, mais de nombreux autres dorment dans des écoles, des mosquées, des bâtiments en construction ou en plein air et ont un accès limité à de l’eau, de la nourriture et des soins de santé.

Depuis janvier, le gouvernement irakien a recours à des frappes aériennes pour tenter d’entraver l’avancée de l’EI. Selon des organisations comme Human Rights Watch, le gouvernement aurait également utilisé des barils explosifs, c’est-à-dire des engins explosifs improvisés largués depuis des avions et remplis de ferraille qui se disperse lors de la détonation, causant d’importants dommages et de graves blessures. Le gouvernement irakien a également été accusé à plusieurs reprises d’avoir mené des campagnes aériennes apparemment à l’aveugle dans l’Anbar. 

Samir Allawi, 43 ans, est un témoin direct de ces frappes. Il a raconté à IRIN comment lui et sa famille avaient quitté la ville de Fallouja, dans l’est de l’Anbar, en juillet, quand leur quartier a été bombardé pendant plusieurs jours.

« J’ai perdu 14 membres de ma famille sous l’une de ces bombes [tirées] à l’aveugle », a-t-il dit. « Je n’oublierai jamais cette scène épouvantable. Leurs corps étaient éparpillés partout. »

Il n’y avait pas d’extrémistes près de leur maison. Je ne comprends pas pourquoi des innocents deviennent les victimes à la place des extrémistes que ces frappes [n’ont] pas beaucoup touchés. »

Ce père de trois enfants, qui se trouve maintenant à Sulaymaniyah, dans la région semi-autonome du Kudistan nord-irakien, a dit qu’il voulait rentrer chez lui, mais que « c’est encore trop risqué et [qu’il] ne veu[t] par perdre d’autres membres de [sa] famille. »

« La situation ici empire de jour en jour », a dit à IRIN un médecin de l’hôpital universitaire de Ramadi qui a préféré ne pas révéler son nom pour des raisons de sécurité.

« Dernièrement, nous avons reçu beaucoup plus de victimes des bombardements aériens. La semaine dernière, rien que dans mon petit quartier, [en] une journée, deux personnes que je connais – un ingénieur et un étudiant – ont été tuées et 12 autres personnes ont été gravement blessées dans les combats. Et cette semaine, mon voisin a été tué par un sniper. »

L’EI en progression

Dans la province de l’Anbar, les lignes de front entre les combattants du gouvernement et ceux de l’EI se déplacent presque quotidiennement et les rapports faisant état des prises de contrôle de chaque zone se contredisent. Les extrémistes semblent cependant gagner du terrain.

Fin septembre, l’EI a attaqué Saqlawiyah, une base militaire du gouvernement au nord de Fallouja, tuant plus de 300 soldats irakiens, selon les informations disponibles. L’EI a ensuite publié des photos de l’attaque sur Internet.

Malgré les déclarations des autorités gouvernementales dans les médias selon lesquelles la menace des frappes aériennes obligeait les membres de l’EI à battre en retraite, le 2 octobre, le groupe a occupé la ville de Hit, au nord-ouest de Ramadi et le 4 octobre, il s’est emparé de Kubaisa. Il menace désormais la base militaire d’Ain al-Asad, utilisée par les forces irakiennes pour envoyer des troupes et du matériel pour défendre le barrage d’Haditha. 

Hit, qui se situe dans la vallée de l’Euphrate, est une prise importante pour l’EI, d’après l’Institute for the Study of War, un groupe de réflexion basé à Washington dont les experts pensent que cela s’inscrit dans un objectif à plus long terme : celui d’entrer dans la ceinture de Bagdad.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 100 000 PDIP se trouvent à Hit, dont un grand nombre a déjà été déplacé trois ou quatre fois. La ville était l’une des rares de la province ayant bénéficié d’une aide humanitaire ces derniers mois.

Un travailleur humanitaire a dit à IRIN qu’il semblait que l’EI opérait depuis un certain temps dans des quartiers de la ville sous la forme d’attentats suicides, mais que le 2 octobre, le groupe avait « attaqué plusieurs parties de la ville et en avait pris le contrôle ». Peu après, les pilonnages et les frappes aériennes ont commencé, a-t-il ajouté.

En septembre, la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (UNAMI) a publié des chiffres issus de la direction de la Santé d’Anbar selon lesquels 268 civils auraient été tués et 796 blessés dans le gouvernorat pendant les huit premiers mois de l’année. 

Certains estiment cependant que ces chiffres sont bien plus élevés. M. Karhut, du Conseil provincial, a dit qu’il pensait qu’environ 1 000 civils avaient été tués et a accusé l’armée irakienne de mener des attaques à l’aveugle.

En septembre, après le bombardement d’un hôpital à Fallouja, le premier ministre Haider al-Abadi a appelé à cesser les frappes aériennes dans les zones civiles.

M. Karhut a reconnu qu’il n’y avait eu aucune frappe aérienne dans une zone civile depuis, mais il a dit que des roquettes tirées par les forces terrestres de l’armée irakienne étaient récemment tombées dans des zones résidentielles après des offensives de l’EI.

Une réalité désespérée

Dans la province de l’Anbar, la population fait du mieux qu’elle peut. Le médecin a dit que son quartier de Ramadi était toujours sous le contrôle du gouvernement, mais qu’il craignait que l’EI s’en empare bientôt. « La ville est à feu et à sang », a-t-il dit. « La situation est très grave. Ma propre maison est couverte d’impacts de balles. »

Alors qu’il décrivait les conditions désespérées à l’hôpital à cause du manque de médicaments, de matériel chirurgical et de personnel, car beaucoup d’employés ont fui, il a ajouté : « L’hôpital n’a plus d’électricité par le réseau depuis quatre mois et nous dépendons entièrement des générateurs, mais il est difficile de trouver du carburant et des pièces de rechange. »

La nourriture manque également, a dit le médecin, qui a expliqué que les denrées de base étaient maintenant de 30 à 100 pour cent plus chères qu’à la même période l’année dernière. À cela vient s’ajouter le fait que très peu de personnes travaillent toujours et reçoivent un salaire.

« Un autre gros problème est l’approvisionnement en matériel médical pour les maladies chroniques comme le diabète et les médicaments essentiels pour les maladies respiratoires », a-t-il dit.

« L’hiver arrive et c’est un véritable problème pour les enfants et les personnes âgées, car nous n’allons pas pouvoir leur fournir des médicaments pour soigner des maladies simples dues au froid. Des patients qui viennent me consulter ont déjà besoin de subir une opération chirurgicale à cause d’infections qui n’ont pas été traitées à temps, car ils ne pouvaient pas se permettre d’acheter des médicaments ou de voir un médecin. »

En raison de l’insécurité, seule une poignée d’organisations humanitaires telles que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Société du Croissant-Rouge irakienne et quelques associations locales ont pu distribuer de l’aide aux habitants de l’Anbar.

Le mois dernier, après une interruption de cinq mois, le Programme alimentaire mondial (PAM) a repris ses distributions autour de Hit. Plus de 3 000 PDIP ont par ailleurs reçu des trousses de secours comprenant de la nourriture, des produits d’hygiène et d’autres fournitures, distribuées par le Conseil danois pour les réfugiés (DRC) à Ramadi avec l’aide d’habitants bénévoles et des autorités locales. 

L’accès reste cependant très limité. « Dans le gouvernorat de l’Anbar seulement, on compte 400 000 PDIP auxquels les acteurs humanitaires n’ont qu’un accès limité », a signalé OCHA dans un rapport publié le 4 octobre. « Les Nations Unies et les ONG partenaires intensifient leurs efforts pour atteindre les personnes dans le besoin, mais l’aide délivrée reste insuffisante. » 

Ce n’est pas la première fois que l’Anbar est touché par des violences. En 2006-2007, cette province à majorité sunnite, qui partage une longue frontière avec la Syrie, a été le théâtre d’intenses combats entre le prédécesseur de l’EI, Al-Qaida en Irak, et les forces américaines qui ont collaboré avec les chefs tribaux locaux pour chasser les extrémistes. 

Même si des cellules djihadistes étaient restées dans l’Anbar, l’EI y est revenu en force fin décembre et a pris le contrôle de certaines parties de Fallouja et Ramadi. Le groupe s’est ensuite dirigé vers le nord, hors du gouvernorat, pour prendre Mossoul et Tikrit en juin et déclarer un soi-disant califat.

De nombreux analystes ont accusé l’ancien premier ministre irakien, Nouri al Maliki, un musulman chiite, d’être hostile aux sunnites et de permettre à des djihadistes de s’implanter dans des régions comme l’Anbar.

« Certaines personnes ont rejoint l’EI juste pour se venger de la politique du gouvernement et ils ont été tentés par les slogans de l’EI faisant référence au djihad et au paradis », a dit M. Karhut, le président du Conseil provincial d’Anbar.

Selon lui, le Conseil soutient les frappes aériennes américaines en Irak contre l’EI, mais, a-t-il ajouté, « Le gouvernement doit également répondre aux demandes constitutionnelles de la population de l’Anbar et [réparer] les erreurs commises par l’ancien premier ministre pour que les sunnites aient l’impression que justice leur est rendue et qu’ils font partie de l’Irak. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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