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La stabilité du Timor-Leste est-elle durable?

Pakistani FPU Assist in Timorese Police Exercises. 24/Sep/2009. Dili, Timor-Leste UN Photo/Martine Perret
La stabilité qui règne actuellement au Timor-Leste pourrait être ébranlée par une diminution importante des revenus du pétrole et des problèmes de leadership si le premier président et actuel premier ministre du pays, Xanana Gusmão, se retire plus tard cette année comme il l’a annoncé.

Le Timor-Leste est devenu indépendant en 2002. Quelques années plus tard, en 2006, le pays a été le théâtre d’émeutes et de conflits à la suite de dissensions au sein de l’armée. Cette crise a entraîné le déplacement de quelque 150 000 personnes et donné lieu à une intervention militaire internationale. Le pays jouit cependant d’une certaine stabilité depuis.

Selon un article rédigé par des analystes de la Banque mondiale, les causes profondes des violences de 2006 étaient « l’incapacité à répondre aux attentes élevées post-indépendance, en particulier celles des vétérans de la lutte pour l’indépendance, le taux élevé de pauvreté, la médiocrité des services et la frustration associée, ainsi que la perception de favoritisme dans l’attribution des postes convoités ».

Afin de mettre un terme à la crise de 2006, le gouvernement a utilisé l’argent du Fonds pétrolier du Timor-Leste pour financer le retour des déplacés, acheter la loyauté des déserteurs de l’armée qui avaient déclenché les violences de 2006, verser des pensions aux vétérans de la lutte pour l’indépendance pour calmer leur mécontentement et octroyer des contrats de construction aux potentiels fauteurs de trouble politiques.

« Pour de nombreux observateurs, acheter la paix n’est pas le meilleur moyen de créer la stabilité dans un pays – et cela se défend, surtout en termes de durabilité », a dit Cillian Nolan, directeur adjoint de l’Institut pour l’analyse politique des conflits (Institute for Policy Analysis of Conflict, IPAC), à Jakarta. « Or, à certains égards, cela a plutôt bien fonctionné [au Timor-Leste], non seulement parce que la paix a été préservée, mais aussi parce que le pays a fait preuve d’une force indépendance par rapport aux pays étrangers. Il s’agissait après tout de fonds timorais versés au peuple timorais. »

Avant l’invasion indonésienne, en 1975, le Timor-Leste, un pays qui compte 1,1 million d’habitants, était une colonie portugaise. L’occupation indonésienne a donné lieu à une violente crise qui a duré plusieurs décennies et pendant laquelle des centaines de milliers de personnes ont trouvé la mort des suites du conflit ou de la famine.

Épuisement des réserves de pétrole


Les chercheurs soulignent que les principaux facteurs qui expliquent la stabilité des dernières années ne sont pas permanents.

« Les richesses pétrolières du Timor-Leste seront épuisées d’ici environ sept ans et le seul moyen de sortir la nation de la pauvreté aura disparu », a dit Charles Scheiner, un chercheur de Lao Hamutuk, une organisation d’analyse des politiques basée à Dili.

Selon l’analyse des données du gouvernement réalisée par Lao Hamutuk, 90 pour cent des revenus du Timor-Leste sont issus du pétrole et du gaz. Si le Fonds pétrolier contient aujourd’hui près de 16 milliards de dollars, M. Scheiner insiste cependant sur le fait que les réserves de pétrole et de gaz pourraient s’épuiser d’ici sept ans et que le fonds pourrait être vide dès 2025.

Dans un rapport publié en 2013 et intitulé Stability at What Cost? [Le prix de la stabilité], l’International Crisis Group (ICG) explique que la paix achetée par le Timor-Leste repose sur trois éléments : « l’autorité de l’actuel premier ministre ; le report de la réforme institutionnelle des forces de sécurité ; et l’utilisation des revenus du gaz et du pétrole de la mer de Timor ».

Ces éléments sont interreliés dans le processus décisionnel politique et financier. Comme le souligne M. Scheiner : « L’élite et certains groupes de pression estiment qu’ils ont droit à leur part des fonds publics, une croyance [qui a été] créée en `achetant la paix’ pour neutraliser des groupes potentiellement gênants ou des opposants politiques. »

Cette élite, qui est surtout composée d’anciens combattants de l’indépendance, exerce à l’heure actuelle une mainmise sur le pouvoir politique. D’après les analystes toutefois, des changements importants se produiront probablement cette année en raison du départ du premier ministre. On peut en effet lire, dans un rapport publié par l’IPAC en juillet 2014 : « Lorsque Xanana Gusmão quittera son poste de premier ministre du Timor-Leste, son successeur devra trouver le moyen de faire face aux sources potentielles de troubles sociaux et politiques sans l’autorité sans précédent dont jouissait M. Gusmão. »

Surfinancement des pensions des vétérans


Cette autorité a notamment eu pour résultat d’encourager le favoritisme envers certains groupes.

Selon la Banque asiatique de développement (BAD), le gouvernement finance trois programmes de transferts de fonds : l’un pour les vétérans, l’autre pour les personnes handicapées et les aînés et le troisième pour les mères monoparentales qui envoient leurs enfants à l’école. Ces programmes bénéficient, dans l’ensemble, à plus de 100 000 personnes. Les écarts entre les sommes versées aux trois groupes sont cependant énormes : « Les transferts d’espèces avec conditions assorties sont limités à 240 dollars par année, les pensions pour les personnes âgées s’élèvent à 360 dollars par année et les vétérans touchent entre 2 760 et 9 000 dollars par année. »

« Les pensions versées aux vétérans [en 2011] comptaient pour la moitié du budget total alors qu’elles ne concernaient qu’un pour cent de la population du Timor-Leste », indiquent les analystes de la Banque mondiale. « Les bénéficiaires de ces allocations importantes ne sont pas suffisamment nombreux pour qu’il y ait un impact notable sur le taux de pauvreté dans le pays. »

Le budget 2014, établi à 1,5 milliard de dollars, consacre 335 millions aux « transferts publics ». « Le gouvernement croit qu’il est important de récompenser les citoyens qui ont servi le Timor-Leste par le passé », indique le document.

En janvier 2014, Lao Hamutuk a signalé que « l’un des résultats des débats budgétaires à huis clos menés au parlement [était] une augmentation de 64 millions de dollars du montant alloué aux transferts publics dans le budget 2014. Cette augmentation risque d’entraîner une diminution de la transparence, de la redevabilité et de la bonne gouvernance. »

« La répartition de la richesse [au Timor-Leste] demeure nettement inégale, en particulier entre les régions rurales et Dili. La situation est probablement en train de s’aggraver étant donné qu’une très grande part des dépenses du gouvernement – l’essentiel de l’économie non pétrolière – se fait dans la capitale », indique le rapport de l’IPAC.

Dans un rapport publié en 2011, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la pauvreté extrême et les droits de l’homme signale des écarts importants entre les conditions de vie des Timorais : « Le segment le mieux nanti de la société timoraise est 180 fois plus riche que les plus pauvres des pauvres. » La pauvreté, l’insécurité alimentaire et le chômage sont plus élevés dans les régions rurales, où vivent près de 75 pour cent des habitants du pays.

« L’élite qui décide de la façon de dépenser cet argent est restreinte : par exemple, le ministre des Finances et le ministre des Ressources naturelles sont des frères », indique l’IPAC.

Les projets de reconstruction des infrastructures du pays – dont 70 pour cent ont été détruites au moment du départ de l’Indonésie, en 1999 – sont controversés et souvent laissés en plan. Le pays continue d’être à la traîne en ce qui concerne les indicateurs de développement. (Il enregistre entre autres l’un des taux de retard de croissance chez les enfants les plus élevés au monde.) La moitié de la population vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.

La solution rapide de M. Gusmão

« Une partie de l’histoire des Nations Unies au Timor après la crise de 2006 en est une de frustration. Les experts internationaux conseillaient en effet aux politiques timorais d’attendre, de prendre leur temps ; ils disaient que le pays finirait par atteindre la stabilité », a dit à IRIN M. Nolan, de l’IPAC. M. Gusmão n’a cependant pas suivi leur conseil et a décidé de mettre en œuvre des actions pragmatiques afin de « montrer que le pays s’en allait quelque part ».

Si on peut dire qu’il a obtenu un certain succès à court terme, il a cependant aussi amené avec lui son héritage d’ancien leader des Forces de défense du Timor-Oriental (Falintil), le front de libération armé qu’il a dirigé dans les années 1980 et 1990. Des questions importantes comme l’officialisation de la discipline et la nomination de leaders non politiques pour diriger les forces de sécurité n’ont pas été abordées.

Ses détracteurs estiment qu’il n’a pas réussi à mettre en œuvre les nécessaires réformes du secteur sécuritaire post-2006, qu’il a pratiqué le népotisme et favorisé l’installation d’un climat de méfiance.

En 2007, M. Gusmão a créé le ministère de la Défense et de la Sécurité en fusionnant les ministères de la Défense et de l’Intérieur. « Il a réussi, ce faisant, à atténuer les rivalités inter-services et à restaurer la stabilité, mais cela s’est fait par le renforcement de l’ancienne chaîne de commandement du Falintil plutôt que par le développement d’un contrôle civil indépendant », indique le rapport de l’IPAC.

Par exemple, 650 anciens combattants des Falintil font toujours partie de l’armée et nombre d’entre eux ont passé l’âge de la retraite, qui est de 55 ans. « Les sensibilités politiques ont joué un rôle plus important que les questions de procédure dans le report de leur retraite », signale l’IPAC.

L’histoire d’occupation et de violence qu’ont connue les Timorais complique par ailleurs les interactions entre les citoyens et les forces de sécurité.

« Pendant l’occupation… les Timorais devaient se soumettre à des forces de police de style militaire. Le modèle de contrôle en place, qui prévoyait le déploiement d’un officier de la police militaire dans chaque village pour assurer la surveillance et recueillir des informations au sujet de la population, a laissé un héritage de méfiance », indique un rapport publié conjointement en 2014 par l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI) et The Asia Foundation (TAF).

En juin 2014, Fundasaun Mahein (FM), une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Dili, a évoqué deux incidents illustrant le manque de discipline au sein des forces de sécurité. Il a qualifié les incidents de « grands bonds en arrière pour la sécurité du Timor-Leste ». Dans l’un de ces incidents, l’auteur d’un crime violent a été remis en liberté parce qu’il était le fils d’un chef de police ; dans l’autre, des officiers subalternes appartenant à un bataillon de police spécial ont attaqué des hauts gradés dans le cadre de ce que FM a appelé « une rupture très grave de la discipline et de la hiérarchie militaires ».

« Le système que nous avons sous les yeux a partiellement réussi à ramener la stabilité en distribuant de l’argent. Or, alors que l’architecte de ce système [Gusmão] s’apprête à se retirer, nous devons nous rappeler qu’il a probablement dissimulé des problèmes majeurs pendant son mandat », a conclu M. Nolan.

kk/cb – gd/amz



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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