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Interview de Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux Affaires Humanitaires

Le Secrétaire général adjoint aux Affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence des Nations unies effectue une visite de trois jours en Côte d’Ivoire, après les violents attaques menées le mois dernier contre le personnel et les installations de l’ONU.

Dans une interview accordée à IRIN, M. Egeland demande qu’il soit mis fin aux violences dirigées contre les travailleurs humanitaires et exige que les auteurs de tels actes soient sanctionnés, sinon l’assistance humanitaire pourrait être réduite.

Question: Vous êtes en visite en Cote d’Ivoire où les agences humanitaires ont traversé des moments difficiles. Que pensez-vous de la situation, au regard de la position des travailleurs humanitaires, en particulier ?

Réponse: Il y a beaucoup d’enjeux actuellement en Côte d’Ivoire. Nous sommes dans une vraie situation de crise. Pendant longtemps, les populations civiles ont été victimes d’attaques et d’abus de toute sortes. Dans le même temps, les travailleurs humanitaires ont été pris pour cibles. Les bureaux de certaines agences humanitaires ont été incendiés et les nôtres ont été pillés.

Nous avons dû évacuer notre personnel de certaines régions du pays et de la ville de Guiglo, en particulier. Nous attendons maintenant des mesures concrètes de la part de toutes les autorités compétentes de ce pays, des responsables politiques et militaires pour protéger les populations civiles, ainsi que l’impartialité et la neutralité du travail humanitaire.

Si rien n’est fait, nous ne serons pas en mesure de venir en aide aux centaines de milliers de personnes qui ont besoin de notre assistance.

Q: Vous avez parlé de mesures concrètes devant être prises par les autorités. Quels types d’actions et de garanties attendez-vous d’elles ?

R: Nous souhaitons que les auteurs des violences répondent de leurs actes. Il y a actuellement une culture de l’impunité qui permet à des groupes de criminels de commettre des viols, de piller et d’attaquer des civils sans défense, et à ma connaissance très peu – pour ne pas dire aucun – de ces criminels n’a été traduit devant les tribunaux.

De même, personne n’a été inquiété par la justice après les attaques, les incendies et les pillages des bureaux des agences humanitaires. Nous avons perdu des millions de dollars dans ces attaques. Je pense donc que ces gens doivent répondre de leurs actes et ce serait l’une des mesures que nous souhaiterions voir appliquer maintenant.

Ensuite il faut rétablir la sécurité, désarmer et démanteler les groupes de criminels. Et puis il y a le problème de ces média qui diffusent des messages de haine, incitant les manifestants à tuer, à s’en prendre aux minorités de ce pays ou aux organisations internationales. Ceux-là aussi doivent être traduits en justice car de tels actes sont réprimés par le droit national et international.

Q: Avez-vous des enregistrements de ces messages ? Si vous les présentez aux autorités judiciaires, seriez-vous en mesure de prouver qu’il s’agit des messages de haine et qu’ils ciblent les populations civiles, par exemple ?

R: Je crois savoir qu’il existe de nombreuses preuves sur l’impact de ces média de la haine messages de haine et j’ai demandé aujourd’hui aux autorités – alors que tout le monde sait qui est derrière ces actes – que les auteurs soient poursuivis car les preuves sont manifestes.

Q: Pensez-vous que les manifestants avaient une raison quelconque de s’en prendre aux agences humanitaires de Guiglo, un motif ou une explication valable justifiant ces attaques ?

R: Non, pas du tout. Il n’y a aucune raison valable, car ils n’ont fait que paralyser les actions des agences humanitaires en faveur des centaines de milliers de personnes vulnérables.

Nous sommes des travailleurs humanitaires. Nous faisons un travail impartial, neutre et apolitique. Je pense cependant que ces attaques sont l’expression d’une frustration ressentie par beaucoup de personnes dans le combat politique et qui s’est retournée contre les travailleurs internationaux sans défense qui n’ont rien à voir avec cette crise politique.

Q: Si vous étiez assis dans cette salle aux côtés de « Jeunes Patriotes » [un mouvement de jeunes militants pro-Gbabgo] tentant de justifier leurs actions, que leur diriez-vous et comment parviendrez-vous à les convaincre de la justesse de vos propos ?

R: Eh bien je leur dirai ceci : vous êtes en train de détruire votre pays. Par vos actions, vous privez d’assistance vos populations, vos frères et sœurs vivant de part et d’autre des lignes de front officielles de ce pays. Cela doit cesser, car tôt ou tard, vous répondrez de vos actes devant tribunal. Il est donc temps d’arrêter.

Vous avez parlé du rôle des médias de la haine. Que peuvent faire des média responsables pour réduire les tensions et aider à la construction de la paix en Côte d’Ivoire ?

Je pense que les média devraient actuellement se focaliser sur les nouveaux espoirs de paix en Côte d’Ivoire et faire des émissions sur les principes humanitaires, les droits de l’homme, le respect des droits humains élémentaires de tout Ivoirien, l’arrêt des discriminations et de ces discours de haine, trop nombreux dans cette société.

Enfin, la communauté internationale doit porter une plus grande attention au conflit ivoirien et comprendre qu’il s’agit d’une crise majeure à laquelle il faudra mettre fin.

Q: La situation en Côte d’Ivoire a connu des hauts et des bas. Il y a eu des périodes d’accalmie et des périodes de crise. Quelle lecture fait-on de la crise ivoirienne à New York ? Comment est-elle perçue par la Communauté internationale ? Inquiète-t-elle au point de pousser les Nations unies à envisager un retrait du pays ?

R: Personne n’envisage de se retirer. Nous ne voudrions pas abandonner les populations vulnérables à leur triste sort. Mais nous tenons à la sécurité de nos employés. A New York ou ailleurs, il n’est pas question de prendre des risques lorsque notre personnel est sur le terrain.

Donc, si nous continuons d’être pris pour cibles, je ne pense pas que nous serons en mesure de maintenir les niveaux d’assistance que nous aurions souhaité apporter.

Q: Un des problèmes évoqués depuis longtemps par les agences humanitaires est le manque de moyens, le fait que les contributions financières des bailleurs sont insuffisantes et que la Côte d’Ivoire est quelque peu marginalisée. Quelles en sont les raisons et que peut-on faire pour y remédier ?

R: Je reconnais que la crise ivoirienne ne mobilise pas autant qu’elle devrait. Je reconnais également qu’il y a trop peu de bailleurs. Mais il ne faut pas exagérer l’ampleur de la crise humanitaire en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas le Darfour. Il n’y a pas tant de gens qui meurent de faim ici. Les besoins vitaux de la population, dans son ensemble, sont satisfaits.

Il reste cependant qu’il s’agit d’une très grave crise de protection et dans ce contexte, il aurait été souhaitable que nos opérations soient entièrement financées, ce qui n’a pas été le cas par le passé. Je lance donc ici – et si l’occasion n’est donnée ailleurs - un appel aux bailleurs de fonds pour qu’ils s’engagent vraiment en finançant entièrement nos opérations.

Nous demandons près 40 millions de dollars pour aider urgemment les quelque trois millions et demi de personnes vulnérables de ce pays.

Q: Nous savons que l’ONU a demandé des réparations aux autorités ivoiriennes. Comment pouvez-vous être certain qu’elles paieront ces réparations, et que ce passera-t-il si elles ne les paient pas ?

R: Le courrier envoyé par le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, au Président Gbagbo, à qui je remettrai d’ailleurs une copie, demande instamment aux autorités ivoiriennes de reconnaître leur responsabilité pour les dégâts subis par l’ONU.

Nous ne pouvons que faire appel à leur sens de l’honneur et à leur intégrité, et leur demander de payer. Plus important encore, nous leur demandons de prendre toutes les mesures pour que de tels actes ne se reproduisent plus et que les auteurs des violences soient sanctionnés.

Q: Il y a eu beaucoup de commentaires à propos de sanctions prises à l’encontre de certaines personnalités politiques. On craint également que l’inscription de nouvelles personnalités sur la liste des sanctions n’augmente les tensions politiques et que la situation dégénère. Qu’en pensez-vous ?

R: En tant que travailleur humanitaire, je n’ai pas d’avis très tranchés sur les sanctions, s’il en faut plus, moins, ou comment elles doivent être appliquées. En revanche, je voudrais dire que le Conseil de sécurité a bien fait de sanctionner certains individus pour leurs actions.

En outre, l’impunité n’a que trop duré. Trop de personnes, connues pour être des criminels au regard du droit national et international, agissent en toute impunité depuis trop longtemps.

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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