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La lutte contre Boko Haram gagne les ondes

Radio presenter Fatima Mu'azzam Obi Anyadike/IRIN

Si l’isolement favorise la radicalisation, informer et donner la parole aux civils permet de limiter leur endoctrinement. C’est l’idée qui a donné naissance à une station de radio qui émet dans tout le secteur d’Afrique de l’Ouest ravagé par l’insurrection de Boko Haram.

Le voyant rouge s’allume dans le studio insonorisé. Fatima Ibrahim Mu’azzam, l’animatrice, met son casque. « Bonjour et bienvenue sur Dandal Kura Radio International », dit-elle en kanouri, la langue locale. « Il fait beau ce matin, à Maiduguri, et je suis heureuse de vous accueillir pour votre émission de libre antenne préférée : Kuttunumgulle » (« plaintes des auditeurs », en kanouri).

Après un bulletin d’information, qui rapporte notamment les dernières nouvelles du Comité présidentiel sur les initiatives du nord-est (PCNI), la radio commence à recevoir des appels : « Je m’appelle Mallam Ahmad et je téléphone du camp de Dalori, à Maiduguri, qui accueille plus de 18 000 personnes qui ont fui les attaques de Boko Haram, » dit le premier auditeur, en langue hausa. « Bonjour Ahmad. Nous sommes heureux de vous entendre. Que souhaitez-vous nous dire aujourd’hui ? » demande Mme Mu’azzam, passant sans peine d’une langue à l’autre. « S’il vous plaît, aidez-nous à faire savoir au gouvernement que nos filles et nos femmes se font violer », dit Ahmad, la voix chargée de colère. « Cela doit prendre fin, nous avons déjà trop souffert. » « Je suis désolée, Ahmad, » répond Mme Mu’azzam. « Nous essayerons de transmettre le problème au gouvernement pour qu’il puisse prendre rapidement des mesures pour mettre un terme à ces viols. »

C’est ensuite Bashir, de l’État de Yobe, qui s’exprime à l’antenne pour faire part de la souffrance des personnes comme lui, déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP). « Nous ne recevons pas la nourriture, ni les vêtements, les tentes et les couvertures qui nous ont été promis […]. C’est de la corruption et c’est totalement injuste. Nous voulons que le gouvernement mette sur pied un comité pour traiter des détournements de la nourriture et de l’aide matérielle. » Mme Mu’azzam assure à Bashir qu’il sera demandé au gouvernement de trouver une solution.

Des auditeurs appellent pour se plaindre de la hausse du coût de la vie à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno où est né Boko Haram, et plusieurs autres disent ne plus pouvoir se permettre de rester loin de leur village.

Une initiative nécessaire

Depuis le début du soulèvement de Boko Haram, il y a sept ans, environ 20 000 personnes ont été tuées et près de 1,9 million d’habitants ont été déplacés à l’intérieur de leur pays. La plupart de ces derniers se sont réfugiés à Maiduguri. Sur les 5,8 millions d’habitants du nord-est du Nigeria, 5,2 sont en situation d’insécurité alimentaire, principalement à cause de l’insurrection.

La radio Dandal Kura reçoit des financements des États-Unis et de Grande-Bretagne, mais elle reste indépendante éditorialement. Elle émet pendant six heures par jour et peut être écoutée par des millions de personnes, non seulement au Nigeria, mais aussi au Tchad, au Cameroun et au Niger, pays voisins où Boko Haram sévit également. « Cette émission de libre antenne permet aux PDIP et autres personnes touchées par le conflit de se faire entendre et comprendre », a expliqué Mme Mu’azzam dans une interview accordée à IRIN.

La radio informe également la population sur les opérations de contre-insurrection menées par le gouvernement, mais aussi sur les services de santé, l’irrigation agricole, les droits de l’homme et les loisirs. « L’information est essentielle pour contrer l’insurrection et c’est la raison pour laquelle nous avons lancé des émissions avec un bulletin d’information qui fait part des activités du PCNI, l’organe chargé de la coordination des interventions humanitaires et du relèvement dans la région », a ajouté Mme Mu’azzam.

The Boko Haram insurgency has claimed more than 25,000 lives in the past six years. Since 2014, it has escalated and splintered across a wider swathe or West and Central Africa, uprooting millions of people in the process.
Boureima Balima/IRIN

Même si la riposte du gouvernement Nigerian face à Boko Haram semble porter ses fruits, dans une certaine mesure, elle a été majoritairement militaire et l’État a peu investi dans la sensibilisation et la lutte contre la radicalisation. C’est précisément cette lacune que Dandal Kura cherche à combler en promouvant « la paix, le développement et la prospérité » dans toute la région du lac Tchad. « Les interventions militaires ne peuvent pas gagner cette guerre à elles seules », a dit Faruk Dalhatu, directeur général de la station de radio. « Le discours de Boko Haram était le seul à se faire entendre dans toute la région, mais avec Dandal Kura, on peut atteindre les habitants des secteurs reculés de Borno, du Tchad, du Cameroun et du Nigeria qui étaient auparavant privés de nouvelles locales. »

L’importance de la langue

Pour Mme Mu’azzam, le peu d’attention portée par le gouvernement à la langue kanouri a laissé la voie libre au discours de Boko Haram. « En temps de conflit, les gens ont besoin d’information et s’ils n’y ont pas accès, ils peuvent facilement se sentir isolés et abandonnés », a-t-elle expliqué. « On compte à peu près dix millions de kanouriphones dans les quatre pays qui bordent le lac Tchad », a précisé le Canadien David Smith, directeur du projet Dandal Kura. « Créer un service radiophonique offrant une tribune internationale donne l’occasion à tous les Kanouri de trouver eux-mêmes des solutions à la crise, [ce qui] fonctionne généralement mieux sur le long terme que des mesures imposées de l’extérieur ».

Dans une région où le taux d’alphabétisation est très faible, la radio est l’outil idéal. « La capacité de parler aux gens dans leur langue maternelle et d’accepter leurs questions et commentaires en kanouri est une marque de respect », a dit M. Smith, qui a déjà travaillé pour des projets radiophoniques en Somalie, en République démocratique du Congo et en République centrafricaine.

Ce point n’a pas échappé à Boko Haram, dont le leader, Abubuakar Shekau, est kanouri. Ses campagnes multimédias en langue locale se sont alimentées du sentiment de marginalisation et de privation économique des habitants du nord-est. Boko Haram a même tenté de se faire une place sur les ondes l’année dernière, mais sa jeune station FM, mise sur pied à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, a été bloquée par la Commission nationale de radio et télédiffusion.

« La langue est plus qu’un moyen de communication. Elle représente une culture, des émotions, et elle fait partie intégrante de la dignité d’une personne », a ajouté M. Smith. « Les frontières établies à l’époque des colonies ont divisé les kanouriphones et les ont réduits au statut de minorité dans leurs pays respectifs. Malgré cette séparation, ils partagent la souffrance et le fardeau des attaques de Boko Haram et d’autres éléments hostiles. »

Un réseau étendu

Dandal Kura (« grand lieu de rencontre » en kanouri) compte 30 correspondants répartis dans ses secteurs de diffusion. Lancée en février 2015 dans l’État de Kano, la radio a déménagé à Maiduguri début 2016 lorsque la ville a commencé à retrouver une paix et une sécurité relatives. « Nous avons besoin d’une station de radio qui se mobilise pour sensibiliser les jeunes que la secte cherche à duper pour les embrigader », a dit Mustapha Ali Busuguma, avocat à Maiduguri. « C’est très important, car la plupart des combattants n’ont pas la possibilité d’entendre d’autres interprétations du Coran et ils doivent se contenter de la version de Shekau. »

« [La radio] nous aide à comprendre l’insurrection de Boko Haram et nous informe de ce qui se passe ailleurs, comme au Tchad, au Niger ou dans le nord du Cameroun », a dit Garba Ibrahim, agent de sécurité à Maiduguri et fidèle auditeur de Dandal Kura. « Sans une station de radio comme Dandal Kura, Maiduguri serait dans l’ignorance la plus totale. Dandal Kura est une radio audacieuse qui n’a pas peur de dire la vérité et qui transmet des informations qui pourraient déranger certaines personnes influentes. Elle ne fait pas d’éloges inconsidérés comme la plupart des radios publiques ».

Outre les bulletins d’information et les émissions de libre antenne, la station de radio diffuse également des conseils pour apprendre à identifier les kamikazes, ainsi que des pièces écrites par des auteurs locaux, dont certaines mettent en scène d’anciens membres de Boko Haram et leurs familles.

A radio Dandal Kura listener in Maiduguri
Linus Unah/IRIN
A radio Dandal Kura listener in Maiduguri

La radio aide également des familles séparées par le conflit à se retrouver. « Nous avons réuni environ neuf familles cette année », a dit M. Dalhatu. « Nous espérons en remettre d’autres en contact bientôt. »

D’autres émissions informent les auditeurs sur les suivis psychologiques possibles et donnent la parole à des chefs traditionnels et des religieux musulmans et chrétiens pour combattre l’idéologie extrémiste véhiculée par Boko Haram. « Ce format semble énormément attirer l’attention des jeunes et, si je peux donner mon avis, c’est un moyen efficace pour favoriser les changements de comportement », a dit Mme Mu’azzam. « Il finit par dissuader les recrues potentielles de rejoindre leurs rangs. »

Un métier dangereux

Par sa prise de position courageuse, la radio s’est attiré les foudres de Boko Haram. En septembre dernier, un homme se présentant comme un commandant rebelle a appelé la station pour critiquer la manière dont un attentat avait été couvert. En mars, c’est Shekau lui-même qui a publié une vidéo dans laquelle il disait : « Cette station de radio appelée Dandal Kura et vos prostituées que vous exhibez comme étant vos employées, soyez toutes maudites par Allah. »

Le personnel de la radio ne semble pas se laisser impressionner par ces démonstrations d’hostilité et aucune menace ouverte n’a été prononcée. « Ce métier a toujours comporté des risques. Ce n’est pas le travail le moins dangereux qui soit, car chaque jour, on dit ou on écrit quelque chose que quelqu’un n’apprécie pas », a dit M. Dalhatu. « Lorsque Shekau a parlé de nous, le risque auquel nous nous exposons a pris une tout autre dimension, car son mouvement est impitoyable. J’étais très inquiet pour [les femmes] de la station : nous avons environ 15 jeunes employées que nous avons invitées, formées, et à qui nous avons montré qu’elles pouvaient faire carrière dans le journalisme », a-t-il confié avant d’ajouter que la réaction de Boko Haram montre bien que la station n’est pas dénuée d’impact.

Le mouvement a perdu beaucoup de terrain, mais il demeure une menace importante. Un couvre-feu est toujours imposé de dix heures du soir à six heures du matin à Maiduguri et des attaques continuent d’avoir lieu dans des secteurs reculés de Borno, du nord d’Adamawa et de l’est de Yobe. Le soir du 7 juin, le quartier de Polo, en périphérie de Maiduguri, a connu la fusillade la plus sanglante depuis de nombreuses années. « Dans des moments comme celui-là, les gens ont besoin d’informations », a dit Mme Mu’azzam. « Et Dandal Kura comble ce manque d’informations en disant aux gens ce qu’ils doivent faire et où ils ne doivent pas aller. » L’armée a mis plus de deux heures à contenir l’attaque, avant qu’une explosion tue dix autres personnes (selon la police) à Muna Garage, un autre quartier périphérique, juste à côté d’un camp de PDIP.

Forts du succès de Dandal Kura, M. Dalhatu et son équipe projettent de mettre sur pied tout un réseau de nouvelles radios communautaires dans la région du lac Tchad, diffusant sur les ondes FM, dont la qualité de son est bien meilleure que sur les onde courtes. Pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin ?

lu/am/ag-ld

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