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Politique et humanitaire en Israël et dans le TPO

Officials from the Gaza health ministry sorting drugs and medical supplies donated to Gaza. Donated drugs are often expired or are not according to the needs, reports the World Health Organization (WHO) in Gaza Erica Silverman/IRIN

« Nous faisons de l’humanitaire, pas de la politique », tel est le mantra répété par la communauté humanitaire.

Il est cependant parfois difficile de dissocier l’humanitaire de la politique, notamment pour les personnes qui travaillent dans le Territoire palestinien occupé (TPO). Les sept jours de bombardements sur la bande de Gaza l’ont démontré.

Les organisations non gouvernementales (ONG), comme Oxfam, n’ont pas tardé à condamner l’escalade de la violence, indiquant que « les habitants de Gaza et du sud d’Israël seront en sécurité lorsque toutes les parties au conflit feront passer les populations avant la politique ».

Si tout le monde reconnait que le problème est politique, les acteurs humanitaires qui cherchent des solutions peuvent-ils l’ignorer ? Certains trouvent que la frontière entre l’humanitaire et la défense des intérêts politiques est très floue.

Les bombardements ont détruit nombre de bâtiments reconstruits grâce à l’aide humanitaire depuis la crise de 2008-2009, et le blocus terrestre, maritime et aérien imposé par Israël sur la bande de Gaza a entravé le travail humanitaire, « avec des projets des Nations Unies et d’autres organisations interrompus à cause des procédures lentes et bureaucratiques mises en place par Israël pour l’importation de matériaux essentiels, comme l’acier, le granulat et le ciment », a dit Ana Povrzenic, chef du groupe d’ONG responsable du secteur du logement de Gaza.

L’impact de la crise causée par l’homme dans le TPO au cours de ces dernières années a suscité un intérêt croissant pour la défense d’intérêts politiques chez les ONG humanitaires.

« Nous prenons en compte les questions politiques, car l’aide humanitaire doit aller de pair avec une solide plateforme de défense des intérêts », a dit Aimee Shalan, responsable de plaidoyer et communication pour l’ONG Aide médicale pour la Palestine (AMP), l’une des 22 ONG – dont beaucoup ont un mandat humanitaire – signataires d’un récent rapport appelant l’Union européenne à interdire l’importation des produits provenant des colonies israéliennes.

Selon les ONG signataires, l’expansion continue des colonies à l’est de Jérusalem et en Cisjordanie est un exemple de l’impact humanitaire des décisions politiques sur le terrain : celles-ci entravent la mobilité, l’agriculture et l’accès aux soins de santé des Palestiniens, et compliquent davantage tout règlement territorial du conflit à l’avenir.

« Pour nous, il s’agit évidemment d’une question politique », a dit Mme Shalan, ajoutant qu’une aide étrangère sans engagement politique risquait de « cimenter l’occupation » et était en conséquence nuisible à la dignité des Palestiniens, à l’indépendance et à la viabilité.

Le gouvernement israélien a indiqué que le rapport a laissé de côté les problèmes purement humanitaires pour avancer un agenda politique.

La communauté humanitaire, qui a souvent débattu du rôle des ONG revêtues d’un « double » mandat, c’est-à-dire des ONG qui apportent une aide humanitaire tout en défendant les intérêts politiques de l’une ou l’autre des parties au conflit, remet en question le point de vue de Mme Shahlan.

Accusations de partialité

L’impartialité politique est généralement perçue comme une condition préalable importante à une fourniture sûre de l’aide humanitaire, tandis que la promotion des intérêts politiques est souvent perçue comme opposée aux ou, à tout le moins, comme s’accommodant difficilement des principes de l’aide humanitaire.

« Nous sommes un organisme humanitaire. Lorsque nous défendons des intérêts, nous prenons en compte les droits de nos bénéficiaires, [des déplacés internes] et des réfugiés », a dit Elisabeth Rasmussen, secrétaire générale du Conseil norvégien pour les réfugiés.

« C’est difficile dans le TPO, la situation est tellement politisée. Certains acteurs mènent beaucoup d’activités de plaidoyer, ils apportent leur soutien à l’une ou l’autre des parties tout en fournissant de l’aide – cela brouille les lignes. Nous insistons sur la nécessité d’impartialité ».

Si les ONG qui ont un double mandat considèrent que sans engagement politique – ne pas s’attaquer aux racines des problèmes humanitaires –  l’aide humanitaire est vaine, d’autres indiquent que l’engagement politique est un danger pour le travail humanitaire.

« C’est difficile dans le TPO, la situation est tellement politisée. Certains acteurs mènent beaucoup d’activités de plaidoyer, ils apportent leur soutien à l’une ou l’autre des parties tout en fournissant de l’aide – cela brouille les lignes. Nous insistons sur la nécessité d’impartialité »

« Si l’action politique détermine la destination de l’aide, alors elle risque de compromettre l’action humanitaire », a dit Ramesh Rajasingham, responsable du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) dans le TPO. « C’est la raison pour laquelle OCHA et d’autres organisations humanitaires font beaucoup d’efforts pour éviter ces risques ».

En raison du brouillage des frontières auquel certaines ONG participent, des accusations ont été portées contre des organisations caritatives, notamment par le gouvernement israélien, qui a établi une frontière claire entre politique et humanitaire : selon lui, certaines organisations seraient partiales, politisées et anti-Israël.

« "Humanitaire" » signifie qu’elles veulent fournir une aide humanitaire, que ce soit dans le domaine de la santé, de l’alimentaire ou de l’aide sociale, mais sans jugement politique », a dit Ilana Stein, vice porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères. « Lorsqu’elles prennent des positions et qu’elles partagent leurs opinions politiques, on peut déjà parler d’aide non humanitaire ».

L’ONG israélienne de droite Monitor – dont l’objectif déclaré est « de mettre fin à la pratique des "ONG humanitaires" qui exploitent l’étiquette des "valeurs universelles des droits de l’homme" afin de promouvoir des agendas politiques et idéologiques – met à l’index les ONG qu’elle juge coupables.

« La distribution de l’eau est un exemple classique utilisé par des ONG qui reprennent les mêmes accusations infondées », a dit Gerald Steinberg, un responsable de l’ONG, qui analyse les activités et les rapports des ONG.

Comme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) l’a souligné dans un rapport de 2011 sur l’avenir de l’action humanitaire, la politisation de l’aide est ancienne et a provoqué « de vives critiques à l’égard de l’action humanitaire au fil des décennies ».

Le CICR bénéficie d’un statut spécial en tant que fournisseur impartial de l’aide aux termes de la Convention de Genève concernant les lois de guerre, mais certaines ONG, et en particulier celles qui fournissent l’aide humanitaire gouvernementale, n’ont pas échappé aux accusations de politisation.

Le CICR a lui-même parfois été la cible d’attaques : le directeur adjoint des opérations du CICR, Dominik Stillhart, a indiqué dans une interview qu’il fallait « éviter que nos observations ne soient exploitées à des fins politiques ou instrumentalisées par l’une ou l’autre des parties ».

Causes profondes de la vulnérabilité

Finalement, la plupart des discussions se résument à la définition du terme « humanitaire ». Certaines agences d’aide humanitaire se plaignent qu’Israël a réduit la définition du terme humanitaire intentionnellement afin d’exclure les activités dites de protection, comme le suivi des violences perpétrées par les colons israéliens.

Ainsi, les agences d’aide humanitaire se trouvent sur le fil du rasoir : elles doivent prendre en compte le risque de voir leurs activités limitées et la nécessité morale et pratique de s’exprimer.

Mais pour Daniel Bar Tal, professeur de psychologie politique à la School of Education de l’université de Tel Aviv, la frontière est très claire.

« Israël profite en réalité du large éventail d’actions humanitaires en Cisjordanie, car il lui permet de se soustraire à sa responsabilité de venir en aide [aux Palestiniens]… tant que l’humanitaire ne jette pas le discrédit sur Israël », a-t-il dit à IRIN.

OCHA indique qu’il n’y a pas de parti pris politique dans les évaluations humanitaires : « Nous excluons tout facteur politique des évaluations et des réponses [aux besoins humanitaires] », a dit M. Rajasingham d’OCHA.

« Cependant, la vulnérabilité humanitaire dans le TPO est souvent la conséquence des politiques et des questions liées aux politiques. Notre travail de plaidoyer exclut l’identification de la relation entre ces causes politiques et la vulnérabilité humanitaire », a-t-il dit en référence aux restrictions de circulation imposées aux civils et au blocus de la bande de Gaza.

Activisme humanitaire

En mai 2010, des cargos, connus sous le nom de « flottille de la liberté pour Gaza », ont transporté des militants tentant de se rendre à Gaza par la mer pour mettre au fin du blocus de la bande de Gaza dans un geste symbolique de protestation internationale.

Les cargos transportaient des matériaux de construction, de la nourriture, des médicaments et d’autres fournitures d’aide.

Neuf civils turcs ont perdu la vie lorsque des commandos israéliens sont partis à l’assaut du premier cargo, le Mavi Marmara, qui se trouvait alors dans les eaux internationales, pour l’empêcher de passer.

« En Israël-Palestine, on ne peut pas séparer le politique de l’humanitaire », a dit Re’ut Mor, un activiste israélien présent à bord de l’Estelle, un bateau qui faisait route pour Gaza.

« Prenons l’exemple de l’eau en Cisjordanie : il s’agit d’un besoin humanitaire de base, mais Israël la contrôle de manière très politique. Faire de l’humanitaire, et non pas de la politique, veut tout simplement dire suivre les règles édictées par Israël ».

Lorsque les bénévoles et les activistes présents sur le terrain informent les agences d’aide humanitaire des destructions de bâtiments, des attaques perpétrées par des colons ou des incursions militaires israéliennes dans les villes palestiniennes, une partie de leur travail constitue de l’information humanitaire.

L’impartialité et l’exactitude des informations collectées, ainsi que l’impartialité perçue des ONG peuvent être remises en question à cause de la réputation politique des personnes participant à ces travaux.

Ces bénévoles soulignent qu’ils répondent aux nombreux manques importants qui existent parce qu’Israël refuse d’assumer ses responsabilités en tant que puissance occupante (aux termes du droit international), et ils ne relèvent aucune contradiction entre l’action politique et l’action humanitaire.

Andi*, une militante allemande, a apporté son soutien aux familles palestiniennes du village de Kafr Qaddum, en Cisjordanie : pendant plusieurs semaines, elle a dormi sur un matelas installé dans une mairie abandonnée et s’est levée chaque matin pour accompagner les familles qui allaient cueillir des olives dans les oliveraies fréquemment prises pour cible par des colons israéliens.

Elle a notamment débarrassé les routes des décombres des barrages routiers israéliens tout en relevant les attaques lancées par les colons israéliens contre les Palestiniens.

En tant que bénévole de l’International Women’s Peace Service (Service international des femmes pour la paix, IWPS), elle dit s’être engagée dans une action politique non violente. Elle pense toutefois que le travail qu’elle accompli avec les autres militants est essentiellement humanitaire.

Mais M. Stein du ministère des Affaires étrangères israélien, qui pense que la protection des oliveraies relève de leur responsabilité, se demande si les bénévoles ne prennent pas en fait une position politique.

« La police israélienne et les forces armées, particulièrement pendant la saison de la cueillette des olives, étaient là pour maintenir l’ordre, pour prévenir les attaques de colons. Étaient-ils là pour apporter leur soutien ou simplement pour prendre une position politique ? ».

*nom d’emprunt

ah/ha/jj/cb
 


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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