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Les crimes sexuels continuent en temps de paix

Huit ans après une guerre civile devenue tristement célèbre pour le nombre de viols et d’actes de violence commis pendant cette période à l’encontre des civils en Sierra Leone, les travailleurs sociaux craignent que les viols n’aient été moins problématiques pendant le conflit qu’ils ne le sont aujourd’hui, au sein de la société démocratique d’après-guerre.

L’International Rescue Committee (IRC), qui dirige quatre « Rainbo Centres » -des centres de conseil et de traitement pour les femmes victimes de viols et de maltraitances physiques en Sierra Leone- a recensé 1 176 agressions perpétrées contre des femmes dans l’ensemble du pays, l’année dernière.

Selon son personnel, ce nombre n’est que la partie émergée de l’iceberg.

« Quand nous avons commencé à travailler, juste après la guerre, nous offrions des consultations médicales et psychologiques aux femmes qui avaient été maltraitées pendant la guerre, mais depuis ce temps, nous n’avons pas arrêté pas de recevoir de nouveaux cas », a déclaré Hannah Kargbo, infirmière, qui soigne les femmes victimes de maltraitances.

« Certains auteurs de violence étaient enfants pendant la guerre ; à l’époque, ils ont été exposés aux viols et aux violences sexuelles et depuis, ils continuent de le faire », a-t-elle poursuivi.

La plupart des cas sont observés dans les régions où de grands nombres d’anciens combattants sont réunis.

Stigmatisation

« Le ministère de la Santé n’a tout simplement pas les moyens d’accorder à ce problème l’attention qu’il mérite, avec [toutes les autres priorités qu’il a, notamment] les taux élevés de mortalité maternelle et infantile », a expliqué Alan Glasgow, directeur de la branche sierra-léonaise de l’IRC. « Ils veulent s’en occuper, mais il n’y a tout bonnement pas assez de ressources ».

Même lorsque les infrastructures existent, comme les Rainbo Centres de l’IRC, les victimes sont particulièrement réticentes à se manifester et à raconter ce qui leur est arrivé.

« Le viol est stigmatisé par la société sierra-léonaise », a dit Eunice Whenzle, qui dirige le Rainbo Centre de Freetown, la capitale.

Selon Eunice Whenzle, la définition même de l’agression sexuelle est une question extrêmement complexe au sein de la société sierra-léonaise : le viol conjugal, notamment, n’est toujours pas considéré comme un crime.

De même, selon les travailleurs sociaux, il est encore normal que la société accuse les victimes d’être responsables de ce qui leur est arrivé –on leur reproche généralement leur façon de s’habiller ou de se comporter.

Protéger les femmes

Les infrastructures sanitaires encore dévastées, les autorités locales fragmentées et les autres priorités humanitaires du pays empêchent d’obtenir un bilan statistique clair sur la question. Mais si l’on ignore le nombre exact de viols, l’ampleur alarmante du problème est reconnue par les autorités, à tous niveaux.

« Le viol est endémique et largement répandu », a déclaré un haut responsable des Nations Unies, qui a souhaité garder l’anonymat.

Selon les autorités policières, la plupart des commissariats de police et des bureaux annexes de la police reçoivent au moins chaque jour une plainte pour viol.

Selon l’association de défense des droits humains Amnesty International (Etats-Unis), une recrudescence des viols et des violences domestiques en période d’après-guerre a également été observée en République démocratique du Congo, en ex-Yougoslavie et en Irlande du Nord.

« Les études réalisées portent à croire que les violences domestiques continuent de s’intensifier après le conflit et qu’elles sont plus graves que pendant le conflit », selon Amnesty, qui appelle à porter davantage d’attention à la protection des femmes et des filles dans les pays en période d’après-guerre.


Photo: Manoocher Deghati/IRIN
A Grafton, un camp de personnes déplacées à une trentaine de kilomètres de Freetown
« Lorsque les Etats ne prennent pas les mesures élémentaires, nécessaires pour protéger les femmes des violences domestiques, ou lorsqu’ils permettent que de tels crimes soient commis en toute impunité, ils manquent à leur devoir de protéger les droits des femmes », pouvait-on lire dans un rapport publié par Amnesty sur les violences post-conflit.

Les violeurs s’en sortent

Mais en Sierra Leone, l’impunité est encore la norme pour les violeurs. En 2007, 896 patients des Rainbo Centres avaient engagé des poursuites contre leurs agresseurs, mais seuls 13 de ces derniers avaient été condamnés.

Cela s’explique en partie par les pressions sociales exercées sur les victimes pour les réduire au silence. « Les victimes pensent que si d’autres gens apprennent qu’elles ont été agressées, on se moquera d’elles et on les tiendra pour responsables », selon Eunice Whenzle.

La peur de la stigmatisation est particulièrement ressentie par les fillettes et les adolescentes, qui représentent la majorité des victimes de viol.

D’après l’IRC, entre janvier et décembre 2007, quelque 65 pour cent des victimes traitées par l’organisation avaient moins de 15 ans. Le plus jeune patient avait deux mois.

« Les jeunes refusent de retourner à l’école après l’agression, parce qu’ils pensent que les autres enfants vont les embêter à cause de cela », a expliqué Eunice Whenzle. « Certaines fillettes se retirent complètement de la société, en refusant de manger ou d’avoir des relations avec qui que ce soit ».

Même lorsque les fillettes et les femmes victimes se manifestent et tentent d’obtenir réparation devant les tribunaux, elles sont confrontées à d’importants obstacles financiers et administratifs pour pouvoir obtenir les examens et les certificats médicaux nécessaires ; en outre, une fois cette étape passée, il leur reste à attendre que justice soit rendue, une attente interminable.

« Le système judiciaire est incroyablement lent », a confirmé Eunice Whenzle, au Rainbo Centre de Freetown. « Nous tentons d’expliquer aux gens qu’il est néanmoins mieux de laisser la justice suivre son cours, sinon, ces crimes continueront d’être perpétrés, mais la plupart du temps, les gens finissent pas conclure des arrangements à l’amiable ».

« Résultat : les violeurs s’en sortent, et il arrive même parfois que la même fillette soit violée de nouveau par le même homme ».

Une justice défaillante

En général, même lorsque les victimes surmontent les barrières financières et sociales qui les empêchent de porter leur affaire devant les tribunaux, le système de justice pénale ne sanctionne pas ces crimes sexuels comme il se doit.

« Les violeurs ne font l’objet d’aucune stigmatisation dans la société sierra-léonaise, seules les victimes sont stigmatisées », selon Eunice Whenzle.

Dans certains cas, les fillettes sont même contraintes par leurs familles d’épouser l’homme qui les a violées. « Il s’agit généralement de personnes ignorantes ; leurs familles pensent que céder la fillette [à son agresseur] est la meilleure des solutions ».

Il est néanmoins plus courant que le violeur propose de remettre une compensation financière à la famille de la victime en guise de punition. « À la fin, l’argent devient plus important que le bien-être de l’enfant », a déploré Eunice Whenzle.

Un avis que partage Amie Kandeh, experte en violences sexo-spécifiques au sein de la branche sierra-léonaise de l’IRC.

« Le soutien nécessaire pour obliger les agresseurs à répondre de leurs actes fait totalement défaut au sein de la société », a-t-elle confirmé.

« Nous avons vu des cas de viols et de violences sexuelles utilisés comme outils, pendant la guerre, et aujourd’hui, [ce phénomène] se transforme, dans la société de cette culture, en quelque chose de compris et même d’accepté », selon M. Glasgow, directeur de l’IRC.

nr/aj/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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