Confrontées à des vols à main armée fréquents, de nombreuses organisations humanitaires de l’est du Tchad se plaignent que la force de l’Union européenne (EUFOR), déployée dans la région depuis février, ne les protège pas comme il se doit. En même temps, bon nombre de ces mêmes organisations humanitaires disent ne pas vouloir compromettre leur neutralité en s’associant à cette force armée.
« Bon nombre d’organisations humanitaires se trouvent bel et bien confrontées à un dilemme, à mesure que les attaques deviennent plus fréquentes », a déclaré à IRIN Nicholai Panke, directeur adjoint du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Tchad.
Selon M. Panke, le CICR n’a pas demandé à l’EUFOR ni au gouvernement d’assurer sa protection. Les effectifs de l’EUFOR ont essentiellement été fournis par la France, ancienne puissance coloniale au Tchad.
L’EUFOR dispose de sa propre base militaire dans la région, qui lui permet d’aider l’armée tchadienne. Certains chefs rebelles ont averti que l’EUFOR constituait dès lors une cible légitime pour eux, ce qui explique entre autres pourquoi les organisations humanitaires souhaitent s’en dissocier.
Jusqu’ici, les nombreuses batailles qui ont opposé les rebelles à l’armée dans l’est tchadien ont rarement eu de conséquences sur les organisations humanitaires, ou sur la capacité de celles-ci à porter secours à des centaines de milliers de Tchadiens déplacés et de réfugiés soudanais, les affrontements se déroulant principalement dans des zones inhabitées.
« Il nous arrive même parfois de recevoir des avertissements avant le lancement d’une attaque dans une région particulière, pour que nous sachions qu’il ne faut pas nous y rendre », a indiqué à IRIN un travailleur humanitaire, qui a préféré conserver l’anonymat.
Mal équipés contre les bandits ?
L’EUFOR a pour mandat de protéger les travailleurs humanitaires et les populations civiles, toutefois, de l’avis de plusieurs responsables humanitaires, elle n’est pas équipée pour cette tâche.
« Elle est venue préparée à mener la mauvaise guerre », a estimé Alsy Burger, directeur de programmes chez CARE International dans l’est du pays. « L’EUFOR a beaucoup d’armes lourdes et de véhicules blindés de transport de troupes ; ils s’attendaient à faire face à des offensives de grande ampleur, mais pour que l’EUFOR puisse protéger les travailleurs humanitaires et les populations vulnérables contre la menace bien réelle du banditisme, elle a besoin d’armes légères et d’un plus grand nombre d’hommes sur le terrain ».
...L’EUFOR a beaucoup d’armes lourdes et de véhicules blindés de transport de troupes ; ils s’attendaient à faire face à des offensives de grande ampleur, mais pour que l’EUFOR puisse protéger les travailleurs humanitaires et les populations vulnérables contre la menace bien réelle du banditisme, elle a besoin d’armes légères et d’un plus grand nombre d’hommes sur le terrain... |
Au début du mois de mai, Pascal Marlinge, directeur de projets de Save the Children au Tchad, a été abattu en pleine journée par des hommes armés qui avaient arrêté son véhicule près de la ville de Forchana, à tout juste 20 kilomètres d’une base de l’EUFOR.
En mars, un des véhicules de CARE a été braqué à tout juste 200 mètres des bureaux de l’organisation à Abéché, la plus grande ville de l’est du pays, à quatre heures de l’après-midi. CARE a envoyé un autre véhicule pour remplacer le premier, mais celui-ci a également été braqué et volé avant même d’arriver à destination. « On a l’impression d’être des cibles faciles », a déclaré Mme Rowell.
Des attentes floues
Le lendemain du meurtre de Pascal Marlinge, un grand nombre d’organisations non-gouvernementales (ONG) ont suspendu leurs activités pour protester contre ce qu’elles considèrent comme une inaction de la part du gouvernement, et le 7 mai, au cours d’une visite au Tchad de Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, les travailleurs humanitaires portaient au bras des brassards noir et avaient hissé des drapeaux noirs sur leurs véhicules.
« Nous voulons qu’il sache que nous pensons que l’EUFOR peut et doit en faire plus », a expliqué M. Burger de CARE.
Toutefois, selon le porte-parole de l’EUFOR, les attentes des organisations humanitaires vis-à-vis de l’EUFOR ne sont pas claires. « Certaines disent vouloir que nous leur fournissions des escortes armées, d’autres disent ne pas en vouloir », a indiqué à IRIN le porte-parole, le lieutenant-colonel Jean Axelos.
« Nous sommes dans une position délicate, car nous nous efforçons de trouver un équilibre entre leurs différentes sensibilités et leurs diverses exigences en matière de sécurité », a-t-il dit. « Et puis, nous devons aussi déterminer ce que nous sommes véritablement en mesure de leur fournir ».
L’EUFOR ne compte actuellement que 2 379 soldats (sur un objectif total de 3 700) dans une région vaste, sauvage et reculée, et doit opérer conformément à un mandat extrêmement limité, selon M. Axelos.
« Nous ne pouvons pas empiéter sur les mandats de la MINURCAT [la Mission des Nations Unies au Tchad] ni sur ceux des diverses forces de sécurité gouvernementales », a-t-il précisé. « Nous sommes une force militaire internationale et, très franchement, la menace de sécurité que fait peser le banditisme sur les ONG semble être davantage du ressort de la police ».
La mission des Nations Unies au Tchad a commencé à former les forces de police locales, mais pour les organisations humanitaires, faire appel à la police pour assurer leur sécurité peut de toute évidence s’avérer plus risqué qu’avoir recours à l’EUFOR.
...Sécuriser tous les itinéraires à tout moment exigerait plus de ressources que l’EUFOR et le gouvernement ne sont capables d’en réunir, mais ils pourraient au moins commencer par le faire deux à quatre jours par mois. L’EUFOR pourrait utiliser un hélicoptère et le gouvernement pourrait établir des postes de contrôle là où il pourrait y avoir des embuscades... |
Vers une solution
Pour certaines ONG, les escortes armées, de l’EUFOR ou du gouvernement, ne sont pas la solution ; il vaudrait mieux sécuriser certains itinéraires, que les convois humanitaires devront emprunter.
« Sécuriser tous les itinéraires à tout moment exigerait plus de ressources que l’EUFOR et le gouvernement ne sont capables d’en réunir, mais ils pourraient au moins commencer par le faire deux à quatre jours par mois », a suggéré M. Burger, de CARE. « L’EUFOR pourrait utiliser un hélicoptère et le gouvernement pourrait établir des postes de contrôle là où il pourrait y avoir des embuscades ».
L’EUFOR a déjà commencé à patrouiller davantage dans la zone de Kawa, au nord d’Adré, une ville située près de la frontière soudanaise, et la situation s’est améliorée, selon M. Panke du CICR. « Depuis que les patrouilles ont commencé, le banditisme a diminué et les habitants de la région recommencent à sortir et à travailler dans leurs fermes ».
Toutefois, les responsables humanitaires s’accordent à dire que la plupart des bandits continuent d’agir en toute impunité. À Abéché, les ONG voient souvent les membres des forces de sécurité locales au volant des véhicules qui leur ont été dérobés.
« On voit encore les contours de nos logos sur les côtés des voitures après qu’ils ont été retirés », a déclaré un responsable, qui n’a pas souhaité être nommé. « Il serait trop dangereux de demander des comptes aux forces de sécurité locales sur la manière dont elles ont obtenu nos véhicules. Il faut faire pression sur le gouvernement pour qu’il intervienne ».
En attendant, les ONG se sont rendu compte que louer des véhicules aux habitants était peut-être plus sûr. « Les bandits ne les braquent pas aussi souvent », a expliqué un travailleur humanitaire. « Nous pensons que c’est parce qu’ils savent peut-être qui sont les propriétaires et que les propriétaires les connaissent ».
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