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Saison ouverte pour les bandits

Connus sous le nom de coupeurs de route, de Zaraguinas ou tout simplement de bandits, les gangs de criminels qui tuent, procèdent à des enlèvements contre rançon, pillent et incendient les maisons constituent actuellement la plus grande menace qui pèse sur les populations civiles du nord de la République centrafricaine (RCA).

Leurs agressions ont contraint des dizaines de milliers de personnes à fuir leurs villages pour trouver refuge dans la brousse, où elles vivent dans des conditions précaires. Ces violences ont également limité l’accès des populations aux champs et aux marchés, réduit les importations de produits sur les principales routes commerciales provenant notamment du Cameroun, et retardé le rapatriement des réfugiés centrafricains vivant au Tchad voisin.

« Ces criminels constituent la principale menace à la sécurité du pays », a expliqué à IRIN Jean-Sébastien Munie, responsable du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en RCA.

Ces groupes sont bien organisés, bien informés et en grande partie composés de ressortissants étrangers, qui traversent les frontières poreuses du Tchad et du Cameroun, et viennent même parfois de pays aussi lointains que le Nigeria ou le Niger.
Rien ne résiste à ces groupes de criminels. En RCA, pays dont la superficie est à peu près égale à celle de la France et où les infrastructures de l’Etat sont quasi inexistantes, en dehors de la capitale, l’armée nationale, connue sous le nom de FACA, ne compte que 5 000 hommes, dont seule la moitié serait en service actif.

L'Histoire d'André
Le 28 décembre 2007, après une partie de pêche, je rentrais en vélo à Bossangoa [une ville du nord-ouest de la RCA], accompagné de deux autres personnes, lorsque sept coupeurs de routes, armés de kalachnikovs, sont sortis de la brousse et nous ont attaqués. Ils avaient déjà enlevé cinq autres personnes.

« Lorsque les habitants de la région se sont rendu compte de ce qui se passaient, ils ont voulu attaquer les bandits, mais ces derniers se sont entourés des huit personnes qu’ils avaient kidnappées pour empêcher les villageois de leur tirer dessus. Après une journée de marche, nous avons atteint leur camp, où il y avait une cinquantaine de bandits, tous étrangers. Il y avait aussi de nombreuses autres personnes qui avaient été kidnappées, et rejoignaient ou quittaient le camp à mesure que leur rançon était payée. Il m’est arrivé un jour de compter 21 otages enchaînés les uns aux autres ».

« Lorsque j’ai été kidnappé, j’avais 20 000 francs CFA (environ 45 dollars américains) sur moi, que j’avais récoltés en vendant mes poissons. Au camp, les bandits nous ont enregistré et ont exigé une rançon d’un million de francs CFA (2 200 dollars). Parmi les otages, quatre jeunes garçons ont été passés à tabac et ont été envoyés voir le maire avec la liste des personnes enlevées, afin qu’il demande à nos familles de payer la rançon exigée ».

« Comme je n’avais pas beaucoup d’argent, ma famille a dû vendre quelques biens pour récolter 80 000 francs supplémentaires. Quand mon fils s’est présenté au camp avec cette somme, mes ravisseurs lui ont fait savoir que cet argent était juste bon pour se procurer du thé, puis ils l’ont envoyé en chercher davantage. Ma femme a donc dû vendre tous les biens de notre ferme, ce qui a rapporté au total 150 000 francs. Les bandits se sont plaints que cette somme n’était toujours pas suffisante, mais après m’avoir battu à nouveau, ils m’ont relâché ».

« Pendant ma captivité, j’ai énormément souffert et ma maison a été détruite par un incendie ».

L’histoire de Georges

« Je travaillais comme chauffeur de moto-taxi. Un jour d’octobre 2007, je roulais en direction de la ville lorsque tout à coup deux hommes armés sont apparus devant moi et deux autres derrière moi. Il y en avait bientôt six en tout, plus neuf otages. Ils ont pris ma motocyclette et m’ont demandé de leur donner le nom des habitants du village qui avaient de l’argent. Lorsque je leur ai dit que je ne savais pas, ils se sont mis à me battre et ont menacé de me tuer ».

« Quelques autres personnes du village avaient également été enlevées et après 11 jours de marche, nous avons atteint le camp des bandits dans une localité appelée Bilakare. C’est un fief de bandits bien connu. Bon nombre d’entre eux s’exprimaient en arabe, d’autres en peulh ».

« J’y ai passé trois mois, tout le temps enchaîné avec 47 autres otages. Nous dormions à la belle étoile et n’avions pas la possibilité de nous laver. Nous n’étions pas nourris correctement. Nous étions violemment battus, surtout ceux qui venaient des régions favorables au gouvernement ».

« Ils ont demandé à ma famille de payer une rançon de deux millions de francs CFA (4 400 dollars). Ma famille n’a pas pu réunir la somme, même en vendant notre récolte de coton et certaines de nos terres, et j’ai été relâché lorsqu’elle a payé 775 000 francs ».

« Je sais que cette aventure est arrivée à bon nombre de personnes, notamment à mon beau-frère. Aujourd’hui, je n’ai pas de moto et pas de travail ».

Pendant des années, la RCA et le Tchad voisin ont été ravagés par de nombreuses guerres civiles, rébellions et mutineries qui ont conduit à une prolifération des armes et à une confusion entre les bandits et les rebelles. Bien que la RCA soit le principal sujet de cet article, le banditisme et les enlèvements ont pendant longtemps constitué un problème transnational dans cette région, une situation favorisée par des frontières peu hermétiques entre les deux Etats et alimentée par un sous-développement et un chômage chroniques et endémiques.

Aggravation des conditions de sécurité

Le coup d’Etat militaire, qui a porté au pouvoir le général François Bozizé en 2003, a aggravé les conditions de sécurité dans le nord de la RCA. Bon nombre de ceux qui ont aidé l’ancien chef d’Etat-major des armées à prendre le pouvoir à Bangui, notamment les mercenaires tchadiens, se sont depuis reconvertis eux aussi dans le banditisme, considérant que M. Bozizé n’avait pas tenu les promesses de récompense qu’il leur aurait faites.

L’aggravation des conditions de sécurité dans le nord-ouest du pays était l’une des raisons invoquées pour justifier la formation de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD), un mouvement rebelle constitué en partie de groupes d’autodéfense, mis sur pied pour protéger les villages contre les agressions des Zaraguinas. Pourtant, l’ARPD elle-même a été accusée à maintes reprises de violations des droits humains, notamment d’enlèvements et de pillages.

Selon l’International Crisis Group, entre autres sources, des Zaraguinas feraient partie de l’APRD.

« Beaucoup de personnes sont rebelles le jour, et Zaraguinas la nuit », a indiqué un représentant d’une organisation humanitaire présente à Bangui.

Mais depuis quelques mois, les agressions des Zaraguinas en RCA sont « mieux organisées, plus brutales et violentes, et sont perpétrées par des groupes plus importants de 10 à 15 personnes », selon Annie Raykov, porte-parole du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

« Désormais, le problème touche presque tout le pays », a indiqué Olivier Bercault, chercheur à Human Rights Watch, à l’issue d’une tournée en RCA.

« La chaîne de commandement de l’APRD est en déliquescence et certains rebelles en profitent peut-être pour empocher des revenus supplémentaires ; ce sont certainement des rebelles tchadiens qui, battant en retraite, cherchent à gagner de l’argent avant de retourner au Tchad, ou des déserteurs de l’armée tchadienne qui se livrent à la même activité ; c’est sûrement aussi la politique répressive que mènent les autorités camerounaises contre les Zarguinas qui a poussé bon nombre de ces bandits à opérer en RCA », a-t-il poursuivi.

Un pays sans loi, ni justice

Selon plusieurs rapports sur la RCA et les entretiens réalisés par IRIN, parce qu’il n’y a pas de réelle autorité dans le pays depuis plusieurs décennies, celui-ci attire toutes sortes de criminels armés.

Les bandits prolifèrent dans un « environnement extrêmement pauvre, où il n’y a ni loi, ni justice, et où règne l’impunité », a expliqué M. Munie d’OCHA.

Au début, ces bandits étaient essentiellement des braconniers. S’il est vrai qu’il y avait quelques affrontements avec les forces de sécurité, les civils étaient généralement épargnés et recevaient même de la nourriture, des produits ménagers et des fusils de chasse en échange de leur silence.

Plus tard, le butin prisé par ces bandits n’était plus les animaux sauvages braconnés, mais les marchandises importées en RCA, pays enclavé, à partir des Etats voisins. Au petit matin, des bandits de grand chemin bien armés tendaient des embuscades aux convois de marchandises ou attaquaient les villes commerciales des zones frontalières. Le meurtre, au passage, de quelques civils permettait de décourager toute velléité de résistance.

Le gouvernement a réagi en fournissant une escorte armée aux convois, occasionnant ainsi des affrontements fréquents et violents avec des groupes de Zaraguinas. Le climat de peur et d’insécurité qui s’est alors installé dans le nord de la RCA a considérablement réduit le flux des convois de marchandises et poussé les bandits à reprendre les vols de bétail – une activité qui était devenue très courante dans toute la région lorsque les puissances coloniales avaient mis fin à la pratique endémique de l’esclavage local.

Les M’bororos, une ethnie qui considère le bétail comme un élément déterminant du statut social et de l’identité de l’individu, ont particulièrement été ciblés, au point que bon nombre d’entre eux ont abandonné leur mode de vie traditionnel, fondé sur le nomadisme.
Lorsqu’un éleveur de bétail ne donnait pas le nombre de têtes demandé par les Zaraguinas, l’enlèvement d’un de ses enfants ou de sa femme était une pratique courante pour l’obliger à fournir le nombre exigé.

Agressions fréquentes

Aujourd’hui, le versement d’une rançon en espèces, dont le montant se chiffre parfois à plusieurs milliers de dollars, est devenu la norme.

Confrontés à la perspective de devoir cultiver la terre pendant de nombreuses années avant de pouvoir reconstituer leur cheptel, bon nombre de ces éleveurs sans ressources se seraient eux-mêmes reconvertis dans le banditisme.
Plus récemment, les criminels s’en prennent de plus en plus aux agriculteurs sédentaires, notamment à ceux des préfectures d’Ouaham et d’Ouaham-Pende, des régions qui, historiquement, font partie des plus grandes zones productrices de coton, de manioc, d’arachide et de sorgho. Ces agressions deviennent plus fréquentes pendant la période de soudure, d’octobre à mai, et se traduisent souvent par le pillage de toutes les réserves alimentaires et de tous les outils agricoles des villages.

Pour les acteurs humanitaires, répondre à des besoins aussi vitaux pose un réel problème. « La distribution des vivres peut occasionner des risques supplémentaires car elle pourrait attirer des rebelles ou des coupeurs dans les zones de distribution et les pousser à extorquer [l’aide] alimentaire aux populations bénéficiaires », selon un rapport conjoint du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), publié en octobre 2007.

Les Zaraguinas « font ce qu’ils veulent parce qu’ils savent que les forces de l’ordre ne sont pas assez nombreuses pour assurer la sécurité dans tout le pays », a dit Antoine Gambi, président du comité préparatoire du séminaire sur la réforme du secteur de la sécurité.

« Ils jouissent de la complicité des notables de certaines localités, qui sont à leur solde. Et parmi ces bandits, on retrouve des déserteurs des armées de pays voisins », a-t-il poursuivi.

« Les bandits portent réellement atteinte à l’économie de bon nombre de régions […] Ils pillent la nourriture de sorte que les populations n’ont plus rien à manger et qu’elles ne peuvent pas toujours aller dans la brousse pour cultiver leurs champs », a indiqué à IRIN Thomas Orungai, responsable de la Croix-Rouge centrafricaine dans la localité de Bossangoa (nord de la RCA).

Depuis la fuite des villageois des localités voisines, en janvier 2008, la population de Bossangoa a augmenté de plus de 1 000 habitants, a poursuivi M. Orunga.

Des villages abandonnés

A deux reprises, les Zaraguinas ont attaqué la localité de Boudigui-Boyange, environ 25 kilomètres à l’ouest de Bossangoa, dans la préfecture d’Ouaham. La première fois, en juillet 2007, ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient emporter. Tous les villageois s’étaient enfuis pour se réfugier dans la brousse toute proche.

Un autre groupe de bandits a attaqué le village en octobre ; ils ont tué deux villageois et ont systématiquement incendié toutes les maisons et leur contenu, promettant de revenir pour refaire la même chose si le village était reconstruit.

Bravant cette menace, la plupart des habitants ont quitté la brousse et sont revenus au village pour reconstruire leurs maisons. « Nous savons que les autorités ne peuvent rien faire pour nous protéger », a dit Noël, un habitant du village. « Le gouvernement a envoyé trois soldats dans une ville voisine, mais ils sont partis au bout de quelques jours ».

Sur les recommandations des autorités locales, 22 jeunes gens de Boudigui-Boyange ont créé un groupe d’autodéfense, mais leur arsenal, composé de 16 fusils de chasse vétustes, d’une seule boîte de munitions et d’une variété d’armes traditionnelles, ne peut pas égaler la puissance des fusils AK-47 que les Zaraguinas utilisent généralement.

« Ils sont partout, près de nos champs, de nos terrains de chasse, si bien que nous avons peur de nous y rendre », a expliqué un villageois.

À la recherche d’un sanctuaire

Sur un tronçon de route, à quelque 200 kilomètres au nord-est de Bossangoa, près de la frontière tchadienne, les risques d’agression sont si grands que même la brousse est considérée comme trop dangereuse.

Plus de 1 000 personnes, parmi celles qui ont fui des villages de cette région, vivent actuellement dans un camp pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) – le seul camp du pays – ouvert dans la ville de Kabo avec l’aide de Solidarités, une organisation non-gouvernementale française. Ce camp comprend quelques centaines d’habitations de fortune construites par les résidents eux-mêmes. Certaines sont recouvertes de bâches, d’autres de paille, mais aucune de ces habitations ne résistera aux fortes pluies qui s’abattront sur la région dans les prochaines semaines.

« Je ne peux pas retourner dans mon village », a affirmé à IRIN Hubert, 42 ans, père de huit enfants. « Les Zaraguinas ont tué 13 personnes, lorsqu’une trentaine d’entre eux, des Tchadiens pour la plupart, nous ont attaqué en novembre dernier […] Ils continuent de sévir sur la route [du village] où nous vivons. S’il n’y a pas de sécurité, comment pouvons-nous retourner chez nous ? »

Lorsque le camp a été ouvert à la fin de l’année 2007, ce n’était qu’un camp de transit provisoire pour les personnes déplacées victimes d’agressions périodiques, commises par les rebelles. Aujourd’hui, alors qu’aucune solution n’est envisagée pour mettre fin au banditisme et que les premières pluies ne tarderont pas à tomber, il semble nécessaire de construire un camp permanent pour ces déplacés, coupés de leurs maisons.

C’est un aspect sensible de la stratégie humanitaire. En effet, en transformant le site de Kabo en camp permanent, on risque de prolonger indûment l’absence des agriculteurs de leurs champs et de créer des tensions avec les résidents permanents de la ville, qui pourraient se sentir moins bien traités que les PDIP.
Etapes suivantes ?

« Il est très difficile de lutter contre le banditisme », a expliqué à IRIN Toby Lanzer, le Coordinateur humanitaire des Nations Unies en RCA. « Il faut donner les moyens nécessaires à la police, à la gendarmerie et à l’armée, ainsi qu’au système judiciaire, pour que le pays puisse être dirigé conformément à la loi ».

Ce renforcement de capacités – et la fin de l’impunité – sont précisément l’objectif de la réforme de l’ensemble du secteur de la sécurité. Mais ce processus n’est pas encore tout à fait engagé et il faudra bien des années pour le mener à bien. En outre, sa réussite dépendra en partie de la conclusion d’un accord de paix global avec deux groupes rebelles et des progrès réalisés dans le cadre du dialogue politique national.

Parallèlement, les FACA, peut-être piquées au vif par les accusations faisant état de leur inaction face au banditisme, et par l’ampleur relativement faible du banditisme dans certaines régions contrôlées par les rebelles, ont lancé une série d’opérations. Ainsi, début 2008, l’armée a mené plusieurs attaques contre les nombreuses bases des Zaraguinas, mais pour la plupart, ces opérations n’ont servi qu’à disperser les criminels. Lors d’une de ces opérations, l’armée a fait plusieurs prisonniers, et selon une source bien informée, 10 d’entre eux ont été exécutés.

Le général Gambi, président du comité préparatoire du séminaire sur la réforme du secteur de la sécurité, a expliqué à IRIN que les opérations des FACA pourraient être plus efficaces si l’armée disposait d’hélicoptères pour acheminer les troupes dans les zones où sévissent les Zaraguinas. « Mais nous n’avons pas les moyens de mener de telles opérations. Nous avons besoin d’hélicoptères ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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