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Les populations pauvres de Tripoli viennent grossir les rangs des groupes islamistes militants

Om Abdel-Rahman al-Jassem préparait le dîner pour son fils Mahmoud lorsque celui-ci l’a appelée. « “Maman, je suis blessé”, m’a-t-il dit, et j’entendais les balles qui sifflaient », a-t-elle raconté, alors qu’elle se trouvait dans le petit trois-pièces où elle vit avec sa famille, à Bab al-Tebbaneh, un quartier pauvre de la ville de Tripoli, dans le nord du Liban. « Puis, je n’ai plus entendu de mots, juste les balles », s’est-elle souvenue.

Mahmoud al-Jassem, 25 ans, a été tué au cours d’un échange de tirs avec l’armée libanaise, dans les rues de la ville ; il aurait fait partie de ces Libanais originaires du nord du pays qui appartiennent au Fatah al-Islam (un groupe islamiste militant).

Bab al-Tebbaneh a vu un certain nombre de ses fils rejoindre les rangs du Fatah al-Islam ou de l’armée, qui lutte contre le groupe islamiste depuis trois mois à Tripoli et non loin de là, dans le camp palestinien de Nahr al-Bared, selon plusieurs habitants.

Malgré tout, le problème de l’Islam radical à Tripoli est peu susceptible d’être résolu par ces combats, à en croire certains analystes. La pauvreté et le manque d’opportunités obligent de nombreux jeunes des bidonvilles de Tripoli à devoir choisir entre la drogue, le crime et l’Islam militant, selon les habitants de la ville.

A Tebbaneh, ordures et flaques nauséabondes encombrent un labyrinthe d’allées oppressantes, et du linge et des drapeaux noirs marqués du dogme « Il n’y a d’autre dieu que Dieu » sont accrochés à tous les balcons. 

« On entend beaucoup parler de victoire militaire décisive sur le Fatah al-Islam, mais personne ne parle de s’attaquer aux causes profondes, à la pauvreté et au désespoir qui touchent des régions comme celles-ci »

Les causes du militantisme

« On entend beaucoup parler de victoire militaire décisive sur le Fatah al-Islam, mais personne ne parle de s’attaquer aux causes profondes, à la pauvreté et au désespoir qui touchent des régions comme celles-ci », estime Imad Omar, de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Al-Majmoua, qui accorde des microcrédits aux populations démunies de Tebbaneh.

Les noms d’Osama Ben Laden, leader d’al-Qaeda, et de « notre commandant » Abou Moussab al-Zarkaoui, ancien leader d’al-Qaeda en Irak, ont été gribouillés sur les murs croulants de la cage d’escalier obscure et cousue de câbles électriques qui conduit au domicile familial des Al-Jassem.

« Mon fils était plutôt religieux, alors je lui ai demandé s’il était membre d’un groupe ou d’un parti, mais il a juré devant Dieu que ce n’était pas le cas », affirme Om Abdel-Rahman.

Le 19 mai, les parents al-Jassem se préparaient à fiancer leur fils à la fille d’un voisin. Mohammed al-Jassem, le père de Mahmoud, âgé de 60 ans, a expliqué que ses 12 enfants étaient tous sans emploi. « Il n’y a pas de travail à Tebbaneh. Avant, je gagnais 4 000 livres libanaises par jour [2,5 dollars] en vendant des douceurs sur un chariot ambulant ».

Selon les habitants, les groupes militants semblent rémunérer décemment leurs recrues, grâce aux financements qu’ils reçoivent d’œuvres caritatives obscures ou de puissances régionales.

« Les groupes islamiques qui diffusent une idéologie extrémiste offrent de grosses sommes d’argent aux jeunes hommes qui acceptent de les rejoindre. La plupart d’entre eux ne savent pas ce qui les attend et vivent dans des conditions économiques atroces », selon Iman el Cheikh, 25 ans, musulman dévot et professeur, qui enseignait dans une école islamique de Tripoli jusqu’à ce que l’on commence à y prêcher « une vision extrémiste ». « Les gens d’ici deviennent plus militants parce qu’ils ont l’impression que l’Etat ne leur donne rien ; il devient alors leur ennemi », selon M. el Cheikh.

La pauvreté dans la région de Tripoli

Tebbaneh est le quartier le plus densément peuplé de Tripoli, et aussi l’un des plus pauvres du Liban. Entre 60 et 70 pour cent des habitants, originaires des régions rurales pauvres d’Akkar, de Dinniyeh et d’Al-Minya, s’y sont installés au cours des dernières décennies, selon le rapport publié en 2006 par le Conseil gouvernemental pour le développement et la reconstruction (CDR) sur les « poches de pauvreté » au Liban.


Photo: Lucy Fielder/IRIN
Les politiciens sont plus prompts à distribuer des affiches qu'à offrir des services, disent les habitants de Tebbaneh
« Plus de la moitié des familles de Bab al-Tebbaneh ont des revenus d’environ 200 000 livres libanaises [130 dollars] par mois et vivent en situation de déficit économique, leurs dépenses étant supérieures à leurs revenus », selon le rapport du CDR.

Toujours d’après les conclusions du rapport, le taux de chômage oscille au-delà des 30 pour cent chez les hommes des régions démunies.

« Le nord est une région très pauvre, non développée, où de nombreuses personnes ne travaillent pas ; cela crée un environnement propice à l’enrôlement d’individus aux tendances islamistes radicales », a expliqué Ahmed Moussalli, un expert des islamistes, qui exerce à l’Université américaine de Beyrouth. « Même s’il est certain que la plupart n’ont pas recours à la violence ».

Au grand marché à légumes de la rue de la Syrie, à Tebbaneh, les enfants transportent des piles de cageots, assurent le service aux échoppes ou tirent des chariots remplis de fruits ou de douceurs.

« La plupart de mes amis travaillent parce que nos parents n’ont pas les moyens de nous envoyer à l’école », raconte le jeune Ahmed, 14 ans, qui a arrêté l’école il y a trois ans et répare des fenêtres de voiture pendant 11 heures par jour.

Le taux d’absentéisme s’élève à 50 pour cent dans les quartiers les plus pauvres de Tripoli, selon le rapport du CDR.

De plus en plus d’écoles radicales

Selon M. Moussalli, les écoles, les mosquées et les centres religieux qui enseignent la pensée radicale sunnite se multiplient à Tripoli depuis deux ans, dans le contexte de crise politique et de vide de sécurité qui a suivi l’assassinat, en février 2005, de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri.


Photo: Lucy Fielder/IRIN
Mohammed Al-Jassem présente une photo de son fils, militant du Fatah al-Islam, tué lors d'échange de tirs avec l'armée libanaise
Avant la guerre civile libanaise de 1975-1990, Tripoli était un port riche assurant la liaison avec la Syrie, la Turquie et l’Irak. Bab al-Tebbaneh, l’une des sept portes historiques de Tripoli, était surnommé la « porte d’or » en raison de ses marchés prospères. Toutefois, la guerre a touché les secteurs de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, et Tebbaneh a été gravement affecté.

« Après la guerre, les différentes régions du Liban présentaient des inégalités en matière de développement et un écart s’est creusé entre Beyrouth (la capitale) et le mont Liban, et d’autres régions, plus éloignées », a expliqué un travailleur humanitaire participant à un projet de développement local, sous couvert de l’anonymat.

Pendant la guerre civile, les islamistes ont brièvement gouverné Tripoli. Les insurgés qui se sont soulevés contre l’armée pour établir un califat islamique dans la province nordique de Dinniyeh en 2000 étaient pour la plupart originaires de Tebbaneh, selon plusieurs habitants.

La colère provoquée par l’invasion de l’Irak en 2003 a alimenté le militantisme, mais c’est la pauvreté qui a été l’élément déclencheur, selon Abou Omar, qui comme bien d’autres hommes de Tripoli, était parti combattre les soldats américains en Irak pendant l’invasion.

« Ces garçons ne rejoindraient pas le camp des militants s’ils avaient de l’espoir ; [à l’heure qu’il est,] ils seraient en train de se marier, d’acheter une maison et d’avoir des enfants, comme tout le monde ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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