Le travail des enfants dans les fermes a été interdit en 1996, deux ans après la fin de l’apartheid, mais ce n’est qu’en 2002 que les fermiers ont compris ce qu’il en coûtait de faire fi de la loi, lorsque Waronice van Wyk a eu la jambe sectionnée : à l’issue des poursuites judiciaires qui se sont ensuivies, l’agriculteur concerné, de la région de Cérès, s’est en effet trouvé contraint de verser 25 000 rands (2 500 dollars) d’indemnités. L’incident a ainsi fait comprendre à d’autres fermiers qu’en employant des travailleurs de moins de 16 ans, ils s’exposaient à de lourdes pertes financières.
Toutefois, à la vérité (une vérité difficile à accepter), le travail des enfants constituait une source de revenus supplémentaire particulièrement nécessaire dans cette région extrêmement pauvre. « La famille n’a pas beaucoup d’argent, maintenant, si les enfants ne travaillent pas », a expliqué Monica, mère de trois enfants, qui vit à Rawsonville, dans la vallée du Breede, et dont le mari travaille dans une des nombreuses exploitations viticoles du Cap-Occidental.
« Les enfants vont voir les fermiers et leur demandent "S’il vous plaît, est-ce que je peux travailler cette saison ? J’ai vraiment besoin d’argent", et ils [les fermiers] leur répondent "Non" », a expliqué à IRIN Susan Levine, professeur et chercheuse en droit des enfants à l’université du Cap.
L’application rigoureuse de la loi a abouti à une diminution significative du nombre d’enfants ouvriers agricoles, mais « le fait d’avoir sorti les enfants de la sphère productive a accru, dans bien des cas, la pauvreté infantile et l’insécurité générale des ménages », a-t-elle commenté.
On « aurait certainement dû prévoir que la survie allait devenir impossible sans une restructuration radicale de l’économie politique de la vie agricole, passant, notamment, par la distribution de terres à des fins d’agriculture de subsistance et par le versement d’un salaire de subsistance », a poursuivi Mme Levine.
Le fait d’avoir sorti les enfants de la sphère productive a accru, dans bien des cas, la pauvreté infantile et l’insécurité générale des ménages |
Mme Levine a pourtant expliqué que les enfants se plaignaient également du milieu de travail et des maltraitances que leur infligeaient les agriculteurs. « Les enfants tiennent un discours contradictoire, en pesant les avantages et les risques ».
Après avoir consulté des enfants, la police, des cliniciens, des infirmiers et des travailleurs sociaux de la région, Mme Levine a conclu que « globalement, les enfants cherchent d’autres moyens de subvenir à leurs propres besoins, maintenant que le travail salarié officiel est devenu illégal ».
Le sexe et l’alcool, une alternative
« Alors, ils travaillent dans l’industrie du sexe, vendent de l’alcool, de la drogue ou volent parfois de la nourriture chez les gens ... les enfants cherchent d’autres moyens de compenser des lois qui, à leurs yeux, les privent de leur autonomie ».
En 2008, les recherches de Mme Levine ont ainsi révélé que les enfants de Rawsonville auraient « des rapports sexuels avec des camionneurs ...contre rémunération ». Hurling Jordaan, ancien travailleur social devenu agent de police à Rawsonville, a toutefois nié tout incident de prostitution infantile, tout en admettant que des hommes d’âge mûr « avaient des relations » avec des filles mineures.
Le vide laissé par le respect plus strict de la loi n’est pas forcément comblé par les activités éducatives ou extrascolaires. « Ici, la plupart des enfants boivent et se droguent à cause des problèmes qu’il y a chez eux. Certains sont encore à l’école, mais beaucoup d’entre eux finissent dans la rue », a expliqué à IRIN Jennifer, 15 ans, brillante élève d’une école de Worcester, une ville voisine, qui souhaite poursuivre une carrière d’avocate.
« Le problème, c’est que le gouvernement devrait donner des bourses aux enfants jusqu’à ce qu’ils soient admis à l’université », selon Aletta, une habitante sans emploi de De Nova, un township de Rawsonville ; les enfants arrêtent l’école faute d’argent, a-t-elle en effet expliqué, l’Etat ne leur accordant des bourses que jusqu’à l’âge de 15 ans.
Photo: Lee Middleton/IRIN |
Jennifer, 15 ans, de Rawsonville |
« Les gens se fixent de nouveaux objectifs, comme monter leur propre commerce, par exemple, et de nombreux fermiers ne veulent pas que les enfants travaillent dans les fermes, mais plutôt qu’ils trouvent autre chose, qu’ils voient plus grand ».
Lynette Haai, une travailleuse sociale employée par la propriété viticole Graham Beck, a expliqué à IRIN qu’à « l’époque [pendant l’apartheid], il n’y avait que trois postes possibles pour les gens de couleur [métis] : enseignant, infirmier ou policier/travailleur social. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud va dans une nouvelle direction, et le champ des possibles s’élargit ».
Malgré les contradictions et les problèmes, il est clair que grâce à ces lois, qui ont réduit la demande en travail des enfants, les enfants dotés de la volonté et du soutien nécessaires pour rester à l’école peuvent désormais le faire.
« Je vois mon avenir avec optimisme », a confié à IRIN Jonathan, 14 ans, originaire de Rawsonville. « Mes grands-parents et mes parents travaillaient dans les fermes, mais ce ne sera pas mon cas, parce que je veux faire quelque chose de ma vie. Je veux aller à l’université et devenir médecin, pour aider les enfants et leur donner de bons médicaments ».
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