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Les prêtres vaudous enrôlés dans la lutte contre le sida

Clément Bouvais, un prêtre vaudou haïtien, préside le Temple de nos ancêtres, un bâtiment de bois sans fenêtre, peint en des tons passés de bleu et de rouge, perdu dans une ruelle étroite de la ville côtière de Jacmel, dans le sud du pays.

Dans la lumière du crépuscule, les moustiques piquent et des rats traversent à toute allure le sol de terre du temple, mais M. Bouvais, vêtu d’un T-shirt et d’un short, une tenue qui convient à la chaleur tropicale de l’île, ne semble pas s’en apercevoir. Il explique que le sida n’est pas une maladie nouvelle en Haïti.

« C’est un fléau qui n’avait tout simplement pas été découvert avant, et qui n’avait pas de nom », insiste-t-il, en s’exprimant en créole par le truchement d’un interprète. « Si deux personnes se bagarrent, l’une des deux prend des médicaments mystiques ; elle boit ces médicaments au nom de l’autre personne et celle-ci contracte le sida. C’est un virus, nous sommes d’accord avec cela, mais pour nous, il existait déjà ».

Il n’est pas étonnant que M. Bouvais concilie aisément son explication mystique du sida avec l’idée que celui-ci est causé par un virus. Mélange des croyances et des pratiques des esclaves ouest-africains emmenés dans cette île des Caraïbes dans les années 1500, et du catholicisme de leurs maîtres, le vaudou coexiste avec les religions organisées en Haïti depuis plusieurs siècles.

En créole, une langue parlée par tous en Haïti, les prêtres vaudous sont des « hougans », et les prêtresses, des « mambos ». Ce sont souvent des dignitaires religieux respectés ainsi que des guérisseurs qui ont une connaissance approfondie des vertus médicinales des plantes locales.

M. Bouvais affirme qu’il peut soigner le paludisme en administrant à ses patients des herbes bon marché, en deux fois moins de temps qu’il n’en faudrait avec des médicaments conventionnels.

Bien qu’une majorité d’Haïtiens se disent catholiques, environ 70 pour cent croient également au vaudou et, en général, particulièrement dans les zones rurales, les populations consultent d’abord un hougan lorsqu’une personne tombe malade.

En raison du coût et de la répartition inégale des services de santé publique en Haïti, il peut être difficile de se rendre au centre de santé le plus proche, et si le test de dépistage du VIH/SIDA et les traitements antirétroviraux (ARV) sont gratuits, la plupart des autres services et médicaments sont payants.

« On ne peut pas ignorer le rôle des [hougans] », a affirmé Rose Anne Auguste, qui dirige l’APROSIFA, une organisation communautaire qui soutient les femmes séropositives de Port-au-Prince, la capitale. « La plupart des gens consultent les deux [un hougan et un médecin], même s’ils sont catholiques ou protestants ».

L’APROSIFA fait partie d’un certain nombre d’organismes haïtiens de lutte contre le sida qui ont reconnu la nécessité d’assurer la participation des hougans dans le cadre de leurs programmes VIH/SIDA. Environ 2,2 pour cent de la population d’Haïti (9,2 millions de personnes) sont atteints du VIH, selon l’ONUSIDA.

L’APROSIFA organise des ateliers pour former les prêtres vaudous à reconnaître les symptômes de l’infection par le VIH et à encourager les patients à se rendre dans les centres de santé pour se faire dépister et traiter.

Catholic Relief Services (CRS), une organisation non-gouvernementale (ONG) internationale, a également connu quelque succès en informant les hougans des réactions négatives que peuvent causer les remèdes à base de plantes chez les patients sous traitement ARV, et des risques de transmission du VIH que comportent certains rituels vaudous.

« Pour certains rituels, ils utilisent un rasoir pour marquer certaines parties du corps et ils utilisaient le même rasoir sur 15 ou 20 personnes », a indiqué William Canny, qui dirige les opérations de CRS en Haïti. « Aujourd’hui, ils ont un rasoir pour chaque personne ; la sensibilisation a été utile ».

La croyance selon laquelle le VIH serait un sort jeté par des ennemis ou par de mauvais esprits, plutôt qu’une maladie infectieuse, a de lourdes conséquences, non seulement sur les efforts de prévention du VIH, mais aussi en termes de traitement.

Infectée par le VIH depuis 18 ans, Marie Elsie Joseph, 47 ans, vit dans les montagnes, dans un village des environs de Jacmel ; elle conseille les habitants de son village qu’elle soupçonne d’être infectés et les encourage à aller se faire dépister et soigner à l’hôpital de Jacmel.

« Mais la plupart des gens vont toujours voir un prêtre vaudou en premier », a-t-elle expliqué à IRIN/PlusNews. « Avant que je leur explique, ils pensent toujours que le VIH est un zombie ou un esprit qui leur a été envoyé ».

Selon le docteur Michel Bertrand, qui dirige les services VIH/SIDA de l’hôpital St Michel de Jacmel, les patients qui pensent avoir été infectés par le VIH sous l’effet d’un sort se présentent souvent dangereusement tard. A la clinique, un psychologue et un travailleur social sont chargés d’informer les patients sur le VIH et de leur conseiller de ne pas prendre en même temps des ARV et des décoctions à base de plantes.

« Parfois, vous ne pouvez pas convaincre quelqu’un qui pense depuis des années avoir été maudit par un esprit malveillant d’arrêter d’y croire. Vous devez simplement le convaincre que les médicaments fonctionnent », explique pourtant M. Bertrand.

Le médecin et son équipe se sont assuré le soutien des prêtres vaudous de la région, qui les aident à identifier les personnes infectées par le virus et à assurer le suivi des patients qui ont manqué des consultations.

Tandis que la nuit tombe à Jacmel, M. Bouvais se montre réticent à aborder les méthodes qu’il emploie pour soigner les patients atteints du VIH.

« Pour moi, le VIH est une chose très difficile et dangereuse », dit-il. « Je ne dirai jamais que je suis capable de le soigner, mais je peux le soulager un peu ».

M. Bouvais raconte l’histoire d’un couple originaire de Port-au-Prince, venu le consulter pour un traitement contre le VIH. Les deux patients étaient sous ARV, mais ils étaient maigres et présentaient des problèmes de peau.

« Je leur ai donné quatre litres de remède et ils sont revenus trois fois. Au bout de trois mois, ils avaient changé, ils avaient pris du poids. Je leur ai demandé de faire le test, et ils étaient encore séropositifs, mais ils allaient beaucoup mieux ».

ks/he/oa/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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