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L’éducation sexuelle, la bête noire des enseignants

A Zola, un des quartiers les plus difficiles de Soweto, le plus grand township de Johannesbourg, l’enfance est une période dure et éphémère. Elevés dans la pauvreté, certains enfants n’ont qu’une seule ambition, posséder le jour de leur mort plus de choses qu’au moment de leur venue au monde.

Ces enfants grandissent avec pour modèles les stars du kwaito (un genre musical sud-africain qui mélange musique hip-hop et musique électronique/house) et les criminels, leur rêve commun étant de posséder une voiture puissante.

Lungi Moleleki, qui enseigne des cours d’orientation à la vie (Life orientation, en anglais) à l’école secondaire Kwadedangendlale, à Zola, rend visite quotidiennement à ses élèves. Les cours d’orientation à la vie abordent divers thèmes, tels que la nutrition, l’éducation physique, l’orientation professionnelle et l’éducation sexuelle.

Lors d’un cours de biologie, Mme Moleleki engage une discussion très directe sur la sexualité.

« Madame, si j’aperçois une fille vêtue d’une minijupe, j’ai le sentiment que cette fille me brise le cœur », a dit un jeune élève. « Avec le temps, on aimerait goûter aux créations de Dieu ».

« Pour résumer, tu aimerais coucher avec cette fille », a répondu Mme Moleleki, impassible, tandis que la salle de classe éclatait de rire.

L’école Kwadedangendlale, une ancienne école primaire, ne possède ni bibliothèque, ni laboratoire de sciences. Ainsi, les élèves lisent des articles sur des réactions chimiques qu’ils ne pourront certainement jamais voir de leurs propres yeux.

Malgré ce manque de ressources, l’école affiche l’un des meilleurs taux de réussite aux examens de fin d’études secondaires, au niveau national.

Toutefois, l’école est confrontée à de nombreux problèmes qui sévissent dans les établissements des banlieues et des bidonvilles d’Afrique du Sud. Parmi ces problèmes figurent notamment la grossesse chez les adolescentes.

« J’ai moi-même été une fille-mère et je voudrais épargner à ces enfants les difficultés que j’ai rencontrées lors de mon adolescence », a confié Mme Moleleki. « Ma mère était directrice d’école, mais je ne me souviens pas de l’avoir entendu me parler une seule fois de sexe. Vous devez fait preuve d’ouverture d’esprit avec les enfants, vous devez parler. »

Les professeurs comme Mme Moleleki ont du travail sur la planche. En effet, le taux de prévalence du VIH parmi les jeunes âgés entre 15 et 24 ans avoisinerait les 10 pour cent en Afrique du Sud, selon les résultats d’une étude menée en 2005 par le Human Sciences Research Council (Conseil de recherche en sciences humaines), un organisme de recherche axé sur le développement social et humain.

D’après des études menées par le Medical Research Council (Conseil de recherche médicale), l’agence nationale de recherche en santé publique, près de 40 pour cent des enfants en âge d’aller à l’école sont sexuellement actifs.

Un rôle à jouer

En 1997, le ministère sud-africain de l’Education a reconnu le rôle qu’il devait jouer dans la lutte contre le VIH/SIDA. Puis, cinq ans plus tard, en 2002, il a proposé le premier programme national de cours d’orientation à la vie.

« Lors de la conception du programme, nous nous sommes inspirés des mesures prises par les autres pays et nous avons étudié les connaissances dont les enfants avaient besoin en matière de VIH, de compétences professionnelles et d’aptitudes à la vie quotidienne », a expliqué Penny Vinjevold, directeur général adjoint chargé de l’éducation et de la formation continues, au sein du ministère de l’Education.

« Nous avons également pris en compte les nouveaux problèmes auxquels les jeunes enfants sont confrontés à l’heure actuelle. En conséquence, une grande partie du programme se fonde sur le contexte socioéconomique de l’Afrique du Sud », a-t-il ajouté.

La situation économique est un facteur auquel Mme Moleleki ne peut échapper et l’un des obstacles qu’elle rencontre lorsqu’elle tente de faire passer le message.

Ses élèves savent comment se transmet le VIH/SIDA, comment une fille peut tomber enceinte et comment utiliser un préservatif.

Mais ils connaissent aussi le sentiment d’être le seul membre productif d’une famille. Ainsi, ils confient parfois qu’il leur est difficile de négocier l’utilisation du préservatif avec la personne qui nourrit leur famille.

Des défis à l’intérieur et à l’extérieur de la salle de classe

Les résultats d’une étude menée en 2005 par l’Université de Pretoria ont révélé que les capacités des écoles à donner les cours d’orientation à la vie avec succès et conformément aux normes nationales dépendaient souvent de deux variables problématiques, selon les termes de Peter Fenton, spécialiste de l’éducation et responsable de l’éducation en matière de VIH/SIDA dans la province du Cap occidental, en Afrique du sud : la passion des professeurs à l’égard de la matière enseignée et le soutien de l’administration.

« Quand il s’agit d’établir l’emploi du temps, les directeurs considèrent automatiquement les mathématiques et les sciences comme les matières les plus importantes », a-t-il déclaré à IRIN/PlusNews. « Quand il s’agit de trouver un professeur pour enseigner les cours d’orientation à la vie, les directeurs se tournent vers les professeurs aux emplois du temps moins chargés, et ainsi un professeur d’arts plastiques ou d’éducation physique se retrouve à enseigner le cours. »

Le programme des cours d’orientation à la vie est tellement vaste que les cours menacent de devenir un ramassis de sujets hétéroclites - de la coupe du monde de football prochainement organisée dans le pays au réchauffement climatique. Ainsi, les sujets clés ne sont pas toujours étudiés en profondeur.

« Ils [les élèves] savent ce que signifient les trois lettres VIH, ils savent aussi comment faire les bébés, mais tous ne savent pas ce que sont les contraceptifs », a expliqué M. Fenton.

Betty Dlamini, qui enseigne des cours d’orientation à la vie au lycée technique Jabulani, à Soweto, reconnaît que tout le monde ne peut enseigner cette matière.

« Si vous demandez à un professeur qui enseigne habituellement une autre matière de donner des cours d’orientation à la vie, ce dernier peut éprouver des difficultés, car nous devons parler librement de problèmes qui nous affectent quotidiennement », a-t-elle souligné.

Les professeurs ne sont pas à l’abri de l’épidémie

En Afrique du Sud, l’épidémie de VIH/SIDA n’épargne pas les professeurs. En effet, selon des études effectuées par le Syndicat démocratique des enseignants d’Afrique du Sud (SADTU en anglais), le plus important syndicat d’enseignants du pays, près de 13 pour cent des enseignants sont infectés par le virus.

« Nous distribuons gratuitement des ARV [médicaments antirétroviraux] aux enseignants, mais le niveau de stigmatisation demeure élevé et les enseignants sont réticents à l’idée de suivre un traitement », a regretté Shermaine Mannah, responsable de l’éducation auprès du SADTU.

Selon les statistiques du syndicat, chaque année, le pays perdrait quelque 4 000 enseignants à cause du VIH/SIDA.

Betty Dlamini a reconnu que la plus importante leçon qu’elle ait apprise était de ne pas porter de jugement. Shermaine Mannah a rappelé que bien que Mme Dlamini ait appris à mettre de côté la stigmatisation et les préjugés, tous les enseignements n’avaient pas effectué ce travail d’apprentissage.

« En tant que professeur, vous devez vous-même bien connaître [le sujet] et parfois, vous devez même mettre de côté vos valeurs morales afin d’enseigner ce cours », a-t-elle dit. « Il arrive que les formateurs ne soient pas formés, et certains enseignants ne croient pas au message qu’ils transmettent à leurs élèves ».

Former les formateurs

Il n’est pas obligatoire de suivre une formation en orientation à la vie afin de devenir enseignant. En outre, le ministère de l’Education a confié une grande partie de cette formation à des organismes, tels que l’Association pour la planification familiale d'Afrique du Sud (PPASA, en anglais) ou à des universités.

En règle générale, les formations sont organisées en dehors des heures de travail, mais les enseignants ont déjà des emplois du temps bien remplis ou font défaut dans certains établissements.

Lorsque la PPASA a commencé à organiser des ateliers le week-end, pour le ministère de l’Education, l’organisme a eu des difficultés à attirer les enseignants, car ceux-ci n’avaient pas le temps de suivre la formation ou préféraient assister à un match de football, a fait remarquer Vivienne Gongota, directrice des formations à la PPASA.

Penny Vinjevold du ministère de l’Education a indiqué que des efforts considérables avaient été déployés afin de former les enseignants, mais il a reconnu que d’autres mesures devaient être prises et qu’il revenait toujours aux enseignants de faire la démarche afin d’obtenir une formation.

« Tu ne viens pas t’asseoir dans ta salle de classe et attendre que quelqu’un te forme, ça ne marche pas comme ça », a-t-il signalé.

Mme Moleleki a signalé qu’elle cherchait des informations supplémentaires, qu’elle lisait des livres et qu’elle se renseignait sur les ateliers qu’elle pourrait suivre afin de compléter la maigre formation qu’elle avait reçue.

Cependant, tous les enseignants ne font pas preuve de la même motivation et les établissements ne sont pas tous aussi encourageants que l’école Kwadedangendlale.

Le SADTU et d’autres syndicats d’enseignants du pays demandent à ce que le module d’orientation à la vie soit intégré dans toutes les formations d’enseignants. Ils exigent également que les formations confiées à des organismes privés soient mieux organisées.

« Les enseignants sont formés, mais lorsqu’ils reviennent à l’école, ils sont les seuls à avoir suivi [une formation en orientation à la vie] », a signalé Shermaine Mannah.

« Ils peuvent rencontrer de la résistance de la part de la direction, à l’égard de la matière enseignée. En conséquence, nous pensons que tout le monde devrait suivre une formation. Nous devons concevoir des formations qui s’adressent à l’ensemble du corps enseignant », a-t-elle conclu.

llg/he/cd/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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