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Le pays de nouveau confronté à ses démons xénophobes

Le bilan de la vague d’agressions ciblées à l’encontre des ressortissants étrangers à Johannesbourg, première ville sud-africaine, s’élèverait désormais à au moins 22 morts, et quelque 6 000 personnes se seraient réfugiées dans les commissariats de police, les églises et les centres communautaires.

Selon les propos formulés le 19 mai par le directeur Govindsamy Mariemuthoo, porte-parole de la police, et rapportés dans les pages du journal sud-africain The Star, la situation était calme la veille dans les townships d’Alexandra, dans le nord de Johannesbourg, et de Diepsloot, (au nord-ouest de la ville), où les premières attaques ont eu lieu la semaine dernière.

Néanmoins, les violences se sont propagées jusqu’à Zandspruit, au nord-ouest de Johannesbourg, et à Tembisa, Primrose, Reiger Park et Thokoza, à la lisière est de la ville, ainsi qu’au sein d’autres communautés ouvrières.

Le 19 mai, la presse sud-africaine a publié d’effrayantes images de personnes brûlées vives par des foules en colère qui ont parcouru les townships au cours du week-end à la recherche de ressortissants étrangers, pillant leurs boutiques et leurs domiciles.

Pour disperser la foule, la police a fait usage de gaz lacrymogène et tiré des balles en caoutchouc, des scènes de chaos urbain qui n’étaient pas sans rappeler les manifestations contre l’apartheid survenues dans les années 1980.

Dans la zone de Troyville, une enclave de migrants de longue date, située juste à l’est du quartier central des affaires, les boutiques étaient fermées le 19 mai au soir et les rues habituellement animées étaient calmes. Selon les estimations, quelque 2 000 personnes se sont réfugiées au commissariat de police de Jeppe Street, non loin de là, lorsque les violences ont éclaté ce week-end.

Un officier de police, qui a requis l’anonymat, a déclaré à IRIN qu’il ne s’attendait pas à voir les violences prendre fin dans l’immédiat, et que le commissariat avait besoin de couvertures et de vivres pour s’occuper des ressortissants étrangers hébergés sur place, dont la plupart sont Zimbabwéens, Mozambicains ou Angolais.

Le président Thabo Mbeki a annoncé le 18 mai qu’une commission avait été formée pour enquêter sur ces agressions, mais la Commission sud-africaine des droits de l’Homme (SAHRC), un organe de défense dont le mandat est prévu par la constitution, a accusé le gouvernement le lendemain de n’avoir pas pris au sérieux la menace xénophobe.

Selon les propos attribués par la presse à Tseliso Thipanyane, directeur exécutif de la SAHRC, ces flambées de violence soudaines sont le résultat d’une colère qui couve face à la pauvreté, au manque de ressources et à un afflux d’immigrés important.

En effet, quelque cinq millions de personnes, originaires de presque tous les pays d’Afrique, ont migré vers l’Afrique du Sud ; trois millions d’entre elles seraient zimbabwéennes, mais le ministère de l’Intérieur ignore combien il pourrait y avoir de migrants non-déclarés.

Les populations locales considèrent que les migrants accaparent leurs emplois, au sein d’une économie qui affiche un taux de chômage estimé à 40 pour cent, mais qui pâtit également d’une grave pénurie de compétences.

Un problème qui ne date pas d’hier

La chronologie suivante revient sur le problème de la xénophobie depuis les premières élections démocratiques qui ont eu lieu en Afrique du Sud, en 1994.


Photo: Taurai Maduna/IRIN
Déplacés par les violences
1994

• L’Inkatha Freedom Party (IFP) à dominante zoulou menace de prendre des « mesures physiques » si le gouvernement ne réagit pas face à la crise perçue des migrants clandestins en Afrique du Sud.

• Mangosutho Buthelezi, leader de l’IFP et ministre de l’Intérieur, annonce dans son premier discours devant le Parlement : « Si nous, Sud-africains, voulons nous disputer de maigres ressources avec les millions d’étrangers qui affluent en Afrique du Sud, alors nous pouvons dire adieu à notre Programme de reconstruction et de développement ».

• Au mois de décembre, des gangs de Sud-africains tentent d’expulser des migrants perçus comme « clandestins » du township d’Alexandra, les accusant d’être responsables de la recrudescence de la criminalité, des agressions sexuelles et du chômage. Cette campagne, qui a duré plusieurs semaines, est connue sous le nom de « Buyelekhaya » (Rentrez chez vous).

1995

• Selon les conclusions d’un rapport publié par la Conférence des évêques d’Afrique australe : « Il existe sans aucun doute un degré de xénophobie extrêmement fort dans notre pays [...] Un des principaux problèmes repose sur le fait que différents groupes de personnes ont été catalogués ensemble dans la catégorie des "immigrés clandestins", et cette situation générale de diabolisation des immigrés alimente ce phénomène de xénophobie ».

1997

• Interviewé par la presse, Joe Modise, ministre sud-africain de la Défense, établit un lien entre la question des migrations clandestines et la recrudescence de la criminalité.

• Dans un discours prononcé devant le Parlement, M. Buthelezi, ministre de l’Intérieur, affirme que les « immigrés clandestins » coûtent aux contribuables sud-africains « plusieurs milliards de rands » chaque année.

• Selon une étude réalisée par le Human Sciences Research Council et l’Institute for Security Studies, 65 pour cent des Sud-africains se disent en faveur du rapatriement forcé des migrants clandestins. Toujours d’après cette étude, les Sud-africains blancs seraient les plus hostiles aux migrants, 93 pour cent d’entre eux ayant exprimé des attitudes négatives à leur égard.

• Les camelots locaux du centre de Johannesbourg attaquent leurs collègues étrangers. Le président du Comité des vendeurs de rue de Johannesbourg intra-muros aurait déclaré : « Nous sommes prêts à les bouter hors de la ville, advienne que pourra. Mon groupe n’est pas prêt à laisser son gouvernement hériter d’une ville-ordure à cause de ces sangsues ».

• Selon une enquête menée par le Southern African Migration Project (SAMP) auprès des migrants du Lesotho, du Mozambique et du Zimbabwe, peu d’entre eux souhaiteraient s’établir en Afrique du Sud. Ces commerçants des rues créent en moyenne trois emplois par commerce, d’après les conclusions d’une étude connexe sur les entrepreneurs migrants de Johannesbourg.

1998

• Trois ressortissants étrangers sont tués par un groupe de passagers à bord d’un train allant de Pretoria à Johannesbourg, au cours d’une agression qualifiée de xénophobe.

• En décembre, la campagne Faire reculer la xénophobie est lancée en partenariat par la Commission sud-africaine des droits de l’Homme (SAHRC), le Consortium national pour les réfugiés et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

• Selon le ministère de l’Intérieur, la majorité des personnes expulsées du pays sont des Mozambicains (141 506) et des Zimbabwéens (28 548).


Photo: Anthony Kaminju/IRIN
Des migrants clandestins sur le point d'être expulsés d'Afrique du Sud
1999

• D’après un rapport de la SAHRC, la xénophobie sous-tend les mesures prises par la police à l’encontre des ressortissants étrangers. La police arrête certains individus pour être « trop noirs de peau » ou pour leur « démarche d’étranger noir ». La police détruit aussi régulièrement les pièces d’identité des ressortissants étrangers noirs.

2000

• Jeté d’un train à Pretoria par un groupe d’hommes armés, James Diop, un réfugié soudanais, est grièvement blessé. Le Kényan Roy Ndeti et son colocataire sont abattus à leur domicile. Les deux incidents sont qualifiés d’agressions xénophobes.

• Dans le cadre de l’Opération Crackdown, une opération de ratissage menée conjointement par les forces de police et l’armée, plus de 7 000 personnes soupçonnées d’immigration clandestine sont arrêtées. En comparaison, seuls 14 individus sont appréhendés pour des crimes graves.

• Le rapport publié par la SAHRC sur le centre de rapatriement Lindela, un centre de rétention pour les migrants clandestins, fait état d’une série de sévices infligés aux personnes détenues dans cet établissement, notamment d’agressions et d’un déni systématique de leurs droits fondamentaux. Le rapport note que 20 pour cent d’entre elles affirment avoir la nationalité sud-africaine ou séjourner dans le pays légalement.

2001

• Selon le recensement de population effectué en 2001, sur les 45 millions d’habitants que compte l’Afrique du Sud, un peu moins d’un million de ressortissants étrangers séjournent dans le pays légalement. Le ministère de l’Intérieur estime toutefois qu’il y aurait plus de sept millions de migrants clandestins.

2004

• Des manifestations ont lieu à Lindela en réaction à des allégations de passages à tabac et de décès parmi les détenus, des événements qui coïncident avec les audiences sur la question de la xénophobie, tenues par la SAHRC et le comité parlementaire chargé des affaires étrangères.

2006

• La communauté somalienne du Cap affirme que 40 commerçants ont été victimes de meurtres ciblés entre les mois d’août et de septembre.

• Les commerces des Somaliens dans l’établissement informel de Diepsloot, dans la banlieue de Johannesbourg, sont incendiés à plusieurs reprises.

2007

• En mars, le HCR exprime son inquiétude face à la recrudescence des agressions xénophobes contre les ressortissants somaliens. La communauté somalienne affirme que 400 de ses membres ont été tués ces 10 dernières années.

• En mai, plus de 20 personnes sont arrêtées après que plusieurs boutiques appartenant à des Somaliens et à d’autres ressortissants étrangers eurent été incendiées au cours de manifestations contre le gouvernement, dans le township de Khutsong, une petite ville minière située environ 50 kilomètres au sud-ouest de Johannesbourg.

• Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 177 514 Zimbabwéens expulsés d’Afrique du Sud passent par son centre d’accueil situé de l’autre côté de la frontière, à Beitbridge, depuis l’ouverture de l’établissement en mai 2006.

2008

• En mars, les associations de défense des droits humains condamnent une vague d’agressions xénophobes qui a fait au moins quatre morts et plusieurs centaines de sans-abri à Pretoria.

Les sources incluent : Human Rights Watch, le SAMP, la SAHRC, le Centre d’étude sur la violence et la réconciliation

oa/he/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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