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Une boîte qui dit : « Je suis spéciale, je prends soin de moi »

La nuit tombe tôt le long de l’équateur. Lorsque la baie de Santa Ana disparaît lentement dans l’obscurité et que la ville de Sao Tomé s’enfonce dans la nuit, des filles apparaissent, seules ou accompagnées, et attendent les clients derrière le bar Farol et la discothèque Dolores, les deux principaux lieux de rendez-vous nocturnes de Sao Tomé, la capitale du minuscule archipel de Sao Tomé-et-Principe, qui se situe à cheval sur l’équateur, au large de la côte africaine.

Vers 19 heures, Angela*, une femme forte et joviale, vêtue d’un débardeur noir et d’un jeans moulant, avec des perles dans ses cheveux tressés, arrive sur le trottoir. Ses clients réguliers sont « des ouvriers en bâtiment portugais, des marins de Malabo [Guinée équatoriale] et des habitants de Sao Tomé », a-t-elle confié à PlusNews.

Ses meilleurs clients sont les marins appartenant aux flottes de pêche étrangères.

« Ils arrivent sur la côte, assoiffés de sexe, avec des présents, du poisson séché, du riz, des habits et des jouets », a-t-elle expliqué.

Ce sont les clients portugais qui suscitent le plus d’espoir : « Si l’un d’entre eux tombe amoureux de moi, je pourrais tirer un trait sur cette vie et partir au Portugal », a-t-elle dit.

Angela, âgée de 28 ans, est mère d’un enfant de sept ans. Elle a commencé à vendre son corps à 14 ans, suivant les traces de sa sœur aînée. Elle a cessé de travailler lorsqu’elle est tombée enceinte et vivait avec le père de son enfant jusqu’à ce qu’il meurt subitement il y a trois ans. Son compagnon actuel purge une peine de cinq mois de prison, et Angela a donc été contrainte de retourner à la rue.

Mais pas pour longtemps, espère-t-elle.

« Je commence à être trop vieille. Les hommes préfèrent les jeunes. Lorsqu’il pleut, nous sommes trempées, certains soirs, nous ne gagnons rien […] ce n’est pas une belle vie », a-t-elle reconnu avec tristesse.

Un marché en expansion

L’archipel qui abrite quelque 150 000 habitants affiche un taux de prévalence du VIH de 1,5 pour cent, soit un taux relativement bas. Cependant, compte tenu du fait que la moitié de la population est pauvre, selon les estimations des Nations Unies, l’afflux croissant de pétroliers, de marins et de pêcheurs des pays voisins soulève beaucoup d’inquiétude.

Les habitants reconnaissent que la prostitution a augmenté au cours des trois dernières années, dans la capitale. Les filles sont de plus en plus nombreuses à faire le trottoir la nuit, et les hommes sont toujours plus nombreux à traîner dans les bars et les discothèques, dans lesquels ils entrent seuls et ressortent accompagnés.

« Lorsqu’il pleut, nous sommes trempées, certains soirs, nous ne gagnons rien […] ce n’est pas une belle vie »

Un client faisant preuve d’attention remarquera que certaines professionnelles du sexe sortent un préservatif d’une jolie boîte fabriquée artisanalement dans un bois précieux local. Cette petite boîte indique que les femmes ont suivi le programme de sensibilisation à la santé sexuelle qu’Alisei, une organisation non-gouvernementale (ONG) italienne, mène depuis 2006.

« La boîte est quelque chose de spécial qui dit : ‘Je suis spéciale, je prends soin de moi’ », a expliqué Mariangela Reina, coordonnatrice auprès d’Alisei.

Compte tenu de la nature diffuse de la prostitution à Sao Tomé, il est difficile d’adresser des messages de prévention et de lutte contre le VIH/SIDA aux meninas (filles en portugais). En outre, Alisei a des difficultés à recruter des pairs éducatrices et à les garder en son sein.

« Les meninas ne veulent pas être associées à la prostitution ou au sida », a souligné Mme Reina. « C’est un phénomène caché, et pour leur adresser des messages, il faut avoir du temps et faire preuve de patience », a-t-elle poursuivi.

Mariangela Reina fait une distinction entre les « mobiles », les professionnelles plus haut de gamme qui ne travaillent qu’occasionnellement, et les « fixes », ou habituées, qui ont davantage conscience de ce qu’elles font et auxquelles il est plus facile d’adresser des informations et de distribuer des préservatifs.

Seule la capitale compte des professionnelles du sexe travaillant dans la rue. Dans les autres villes de l’archipel, les femmes vendent leur corps essentiellement dans les bars et les discothèques. En outre, il existe la « prostitution maritime », qui dépend de l’arrivée des bateaux dans la capitale, ce phénomène se retrouve également dans les ports de pêche.

Une étude sans précédent

Cette année, Alisei, grâce à un financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, a interrogé 120 personnes, dans le cadre d’une étude sans précédent sur le commerce sexuel à Sao Tomé. Les résultats de cette étude serviront de pierre angulaire à l’élaboration d’un plan stratégique de protection destiné aux professionnelles du sexe.

Selon les résultats de l’étude, les connaissances générales en matière de VIH/SIDA étaient élevées. En outre, neuf personnes interrogées sur 10 ont indiqué que le préservatif masculin était leur moyen de protection préféré contre les infections sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées.

Dans plus de la moitié des rapports sexuels, les deux partenaires avaient apporté des préservatifs. Cependant, méfiantes à l’égard des hommes, la plupart des femmes interrogées ont signalé préférer utiliser leurs propres préservatifs. Dix pour cent d’entre elles ont confié avoir des difficultés à négocier l’utilisation du préservatif avec un homme ivre ou plus âgé.

Les femmes se procurent des préservatifs auprès des centres sanitaires et des ONG, mais elles souhaiteraient pouvoir en obtenir dans les magasins, les bars et les discothèques qui sont ouverts la nuit. Cependant, 17 pour cent des femmes ayant participé à l’enquête ont confié avoir eu des rapports sexuels non protégés, et 24 pour cent des femmes interrogées boivent habituellement de l’alcool avant d’avoir des relations sexuelles. Près de la moitié d’entre elles ont déclaré ne pas aimer vendre leur corps pour gagner leur vie.

La plupart des femmes ayant participé à l’enquête avaient entre 15 et 24 ans. En outre, la majorité des travailleuses du sexe les plus jeunes considéraient la prostitution comme un travail temporaire, en attendant de trouver un mari ou un emploi ou de posséder quelques biens.

Un tiers des personnes interrogées ont indiqué avoir un client par jour, un autre tiers d’entre elles ont déclaré avoir quotidiennement deux clients ou plus, et enfin, le reste a affirmé que le nombre de leurs clients fluctuait d’un jour à l’autre. Moins de la moitié d’entre elles seulement ont confié avoir des clients étrangers. En effet, la plupart de leur clientèle se composait d’habitants locaux.

Dans des groupes de discussion, les professionnelles du sexe ont affirmé que les touristes européens représentaient leur meilleure clientèle.

« Ils paient en devises, font [l’amour] plus vite, sont plus romantiques, vous paient à boire et à manger, vous offrent le petit déjeuner sans déduire aucun frais du prix total », a expliqué Babica Dias, éducatrice auprès de Alisei.
 
La passe se négocie entre huit et 10 dollars américains avec un client local et entre 20 et 30 dollars américains avec un client étranger.

L’Associacao Saotomense de Planejamento Familiar (ASPF), une ONG locale, distribue occasionnellement des préservatifs aux douaniers du port de la capitale, mais pas au personnel des ports de pêche.

« Nous devrions mener des programmes là-bas », a reconnu Amado Vaz, directeur de l’ASPF.

Profil des professionnelles du sexe
Trois femmes sur 10 ont un travail régulier.
La moitié d’entre elles vivent avec leurs enfants.
Six femmes sur 10 ont un partenaire régulier.
Huit femmes sur 10 ont subi un test de dépistage au VIH.
Toutes les femmes peuvent nommer différents modes de transmission du virus.
Près de deux femmes sur dix acceptent d’avoir des rapports non protégés.
Source: Alisei
Des chaussures rose vif et des boucles d’oreille dorées

Tete*, une jeune femme de 18 ans, traîne dans un minuscule bar animé, situé à côté du bureau d’Alisei, à Sao Tomé. Elle loue une chambre dans la maison voisine. Elle porte des chaussures rose vif, un short en jeans, un haut doré et blanc ainsi que de grandes boucles d’oreilles dorées. Elle a suivi les traces de sa soeur aînée et vend désormais elle aussi son corps.

Le personnel d’Alisei a gagné sa confiance et en échange Tete a reçu des informations sur l’épidémie et des préservatifs.

Elle a subi deux fois un test de dépistage du VIH.

« J’avais peur », a-t-elle confié.

Babica Dias d’Alisei et Dina Zolda Cruz, une pair éducatrice, font preuve de patience et d’un grand sens de l’humour lorsqu’elles approchent les meninas, car ces dernières sont réticentes et ne se présentent pas aux rendez-vous.

« Elles sont timides, elles ne veulent pas parler, elles ne veulent pas écouter », a déclaré Babica Dias.

Lorsqu’elles ont gagné la confiance des meninas, les pairs éducatrices leur apprennent à négocier l’usage du préservatif.

Selon Dina Zolda Cruz, « le meilleur moment pour négocier l’usage du préservatif est une fois arrivé dans la voiture, avant de faire l’amour. La meilleure démarche consiste à mettre l’accent sur la protection du client. »

Fortes de ces compétences et de ces jolies boîtes, les meninas seront plus en sécurité lorsque la nuit tombera sur Sao Tomé.

* Un nom d’emprunt

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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