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Bakassi, une péninsule aux problèmes complexes

Une vingtaine de soldats camerounais ont été tués le 13 novembre par des hommes en uniforme militaire dans la presqu’île de Bakassi, un territoire rétrocédé au Cameroun par le Nigeria à la suite d’une décision prise en 2002 par la Cour internationale de justice (CIJ).

Selon un spécialiste du Nigeria, les soupçons se concentrent sur les groupes de miliciens de la région nigériane voisine du Delta du Niger, mais pour certains observateurs, des habitants de la péninsule pourraient également être impliqués dans cette attaque.

Au cours d’un récent voyage que le correspondant d’IRIN a effectué dans la péninsule, plusieurs habitants lui avaient fait part de leur forte antipathie pour l’administration camerounaise. La plupart des personnes interrogées avaient avoué préférer vivre sous souveraineté nigériane et d’autres promettaient même de se battre pour s’affranchir de la tutelle du Cameroun.

A mi-parcours d’une période de transition de deux ans au terme de laquelle le Nigeria rétrocédera au Cameroun la région longtemps contestée, il y a actuellement trois zones de Bakassi, chacune d’elles ayant ses problèmes spécifiques.

Tous les habitants des trois zones ont fait part de leur colère et de leur hostilité au processus de transition qui a démarré en août 2006 et qui a été marqué par le départ officiel des civils et des militaires nigérians de la péninsule.

A cette période, ont expliqué plusieurs habitants et représentants locaux, les conditions de vie se sont détériorées dans au moins deux des trois zones de la péninsule.

Le nombre de personnes vivant sur la presqu’île est largement contesté : 10 000 pour les uns, près d’un million, pour d’autres. S’il est difficile d’établir avec précision le nombre d’habitants que compte la péninsule, c’est en partie parce que sa population est mobile et vit de la pêche.

Après des années de tension entre le Nigeria et le Cameroun qui ont conduit à plusieurs accrochages entre les armées des deux pays au cours des années 1990, le Nigeria a officiellement accepté la décision prise en 2002 par le CIJ et qui attribuait la péninsule de Bakassi au Cameroun.

Sur le plan diplomatique, le processus a été perçu comme un grand succès. Le Nigeria avait administré la péninsule depuis son indépendance de la Grande-Bretagne en 1960, sauf pendant les quelques occasions où le Cameroun était parvenu à contrôler une partie de la presqu’île.

Le retrait de l’administration nigériane a été précédé d’une série d’accords frontaliers bilatéraux couvrant une zone frontalière de 2 300 kilomètres, du lac Tchad au Golfe de Guinée où les deux pays envisagent de partager les importantes réserves pétrolières offshore.

Selon des représentants des Nations Unies, membres de la Commission mixte chargée du suivi de l’application de l’accord conclu entre les deux parties, trois choix s’offrent aux habitants de la presqu’île de Bakassi : devenir citoyens camerounais à part entière, conserver la citoyenneté nigériane et obtenir le statut de résident étranger au Cameroun, ou quitter Bakassi pour s’installer au Nigeria.

La zone de Bakassi

La situation sociale et humanitaire des habitants de la péninsule est devenue précaire, notamment dans la pointe sud de la presqu’île appelée officiellement ‘zone de Bakassi’, une zone que le Nigeria continuera d’administrer jusqu’en juin 2008.

C’est la zone la plus peuplée et surpeuplée de la péninsule car les pêcheurs qui y vivent se trouvent près de zones de pêche riches en poissons. Cependant les écoles, les services de santé et de distribution d’eau potable ont presque tous disparus, et les programmes de lutte contre l érosion côtière sont pratiquement abandonnés puisque chaque année la mer détruit des centaines de maisons.

Bakassi sous souveraineté camerounaise

Le reste de la péninsule, au nord de la zone de Bakassi, est sous le contrôle de l’administration camerounaise et les autorités ont commencé à mettre en place plusieurs infrastructures dont des écoles, des services de santé et de distribution d’eau potable. Le village d’Akwa (appelé autrefois Achibong sous l’administration nigériane), par exemple, est doté d’un nouvel hôpital bien équipé, mais inutilisé par les villageois. Plusieurs d’entre eux ont confié à IRIN qu’ils ne voulaient pas des services de l’administration camerounaise parce qu’ils n’acceptaient pas la souveraineté du Cameroun.

« Beaucoup de villageois ici nous considèrent comme des colonisateurs », a expliqué à IRIN Fonya Felix Morfan, sous-préfet d’Akwa. Selon lui, l’Etat de droit n’est pas respecté parce que les forces de police et de gendarmerie ne sont pas présentes.

« Les édifices publics sont saccagés, les jeunes fument de la marijuana devant moi et m’envoient leur fumée dans le visage ».


Photo: David Hecht/IRIN
Nouvelle commune de Bakassi créée en territoire nigérian à 40 kilomètres à l'ouest de la péninsule de Bakassi
Nouvelle Bakassi

La troisième zone, qui ne se trouve même pas sur la péninsule de Bakassi, est plus un projet conceptuel qu’une réalité. Située à quelque 30 kilomètres à l’intérieur du territoire nigérian, la nouvelle commune de Bakassi a récemment été relocalisée dans celle d’Akpabuyo.

Cette zone avait été créée par le gouvernement nigérian pour servir de refuge aux habitants de la péninsule qui ne voulaient pas vivre sous souveraineté camerounaise. Mais malgré toutes les assurances données par le gouvernement fédéral, qui s’était engagé à investir près d’un milliard de naira (8,3 millions de dollars américains) dans la nouvelle Bakassi, la zone n’est toujours pas accessible par la route. Et d’après certaines sources locales, elle n’a ni école, ni service de santé, et le réseau de distribution d’eau potable n’est pas fonctionnel.

La nouvelle Bakassi ne compte actuellement qu’une centaine d’habitants et aucune infrastructure nouvelle n’y a été construite. Près de la moitié des habitants interrogés par le correspondant d’IRIN ont dit avoir toujours vécu dans la zone ; quant aux autres, ils ont affirmé avoir quitté la péninsule de Bakassi pour rejoindre des parents qui vivaient déjà dans la « nouvelle Bakassi ».

Toutefois, de nombreux habitants de la péninsule ont fait part à IRIN de leur désir de partir pour s’installer dans la nouvelle Bakassi, dès qu’une occasion se présenterait. Mais la nouvelle commune étant actuellement dépourvue d’infrastructures de base, l’arrivée soudaine et massive de personnes de la péninsule pourrait provoquer une crise.


Photo: David Hecht/IRIN
Etinyin Etim Okon Edet, chef suprême traditionnel nigérian à Bakassi
Avant la rétrocession de Bakassi

La Constitution du Nigeria considérant la péninsule de Bakassi comme une commune nigériane, plusieurs habitants de Bakassi, juristes et politiciens avaient alors souligné que le gouvernement n’avait pas le droit de rétrocéder la péninsule au Cameroun sans avoir, au préalable, amendé la Constitution. En 2004, ils avaient tenté d’introduire une requête pour obtenir un arrêt permettant d’abroger l’accord frontalier.

Mais le gouvernement avait trouvé un moyen très astucieux pour contourner cet argument juridique en déplaçant simplement les limites physiques de la commune, a expliqué à IRIN Ahmedou Ould-Abdallah, ancien chef du bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA), qui était également président de la Commission mixte Cameroun-Nigeria.

« On peut compter sur le gouvernement nigérian pour trouver une solution à un problème aussi complexe », a-t-il affirmé.

M. Ould-Abdallah a cependant fait remarquer qu’il ne pouvait affirmer que les autorités nigérianes trouveraient une solution tout aussi efficace pour résoudre le problème de la population locale. « Pour cela, il faudra attendre de voir », a-t-il conclu.

Des milliers d’habitants ont choisi de quitter la péninsule pour s’installer dans des villes du sud du Nigeria.

Un groupe dissident a néanmoins déclaré « l’indépendance de la République de Bakassi », dans le but de résister au pouvoir camerounais. Etinyin Etim Okon Edet, chef suprême traditionnel nigérian à Bakassi, qui ne cache pas son fort sentiment anti-camerounais, reprocherait aux forces camerounaises d’avoir commis des exactions par le passé.

Etinyin Etim Okon Edet avait notamment rejeté la décision de la CIJ attribuant la presqu’île de Bakassi au Cameroun, une décision qui se base sur de nombreuses cartes datant de l’époque coloniale. Lors d’un référendum organisé en 1961 dans toute la région ouest du Cameroun et au cours duquel la population devait choisir entre la citoyenneté nigériane et camerounaise, les habitants de la péninsule de Bakassi s’étaient prononcés à 73 pour cent en faveur de la citoyenneté camerounaise.

A en croire certains historiens et observateurs, ce plébiscite aurait été truqué par la France et la Grande-Bretagne qui avaient déjà décidé du sort de la péninsule de Bakassi.

« La seule chose dont il faut tenir compte actuellement est la volonté de la population », a expliqué le chef traditionnel.

Mission des Nations Unies

Trois observateurs des Nations Unies, membres de la commission mixte Cameroun-Nigeria, ont récemment installé un bureau dans la ville de Calabar, à quelque 40 kilomètres de la péninsule de Bakassi et d’autres observateurs devraient les rejoindre. Ils devraient bientôt commencer à se rendre sur la péninsule pour superviser les derniers mois de la période de transition.

« Notre mission est de veiller à la bonne application des accords. Nous serons attentifs au traitement réservé à la population et transmettrons nos rapports à la Commission. Nous nous emploieront également à créer un climat de confiance entre les deux gouvernements et la population de Bakassi », a indiqué un représentant des Nations Unies.

dh/bp/nr/ads


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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