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Eviter le sida et les grossesses précoces, une affaire de tantines

En y réfléchissant, Marlyse et Lysette se disent qu’elles l’ont échappé belle : elles sont tombées enceintes et ont interrompu leur scolarité… mais elles n’ont pas été infectées au VIH/SIDA, une chance que toutes leurs camarades n’ont pas. Pour toutes les jeunes filles membres du Réseau national des associations de tantines (Renata), créé en décembre 2005, la sexualité précoce des adolescents est perçue comme un “problème très grave” au Cameroun, un pays où l’infection au VIH, estimée à 5,5 pour cent de la population, touche en particulier les adolescents et les jeunes gens. Selon le docteur Flavien Ndonko, anthropologue à l’agence allemande de coopération, GTZ, à Yaoundé, la capitale, 20 à 30 pour cent des jeunes filles tombent enceintes sans le vouloir, un tiers d’entre elles a entre 13 et 25 ans. Plus de la moitié de ces mères ont une grossesse à la suite de leur premier rapport sexuel ; un autre enfant suit deux ans après. “Au Cameroun, on considère qu’une fille sur cinq a une grossesse non désirée”, commente le docteur Ndonko, ajoutant qu’un quart d’entre elles abandonne l’école, en majorité définitivement. C’est le cas de Lysette, 25 ans, et Marlyse, 21 ans, qui ont rejoint les associations de tantines puis le Renata, après leurs grossesses et une formation dispensée par la GTZ et ses partenaires dans le cadre du programme germano-camerounais de santé et sida sur la santé de la reproduction en milieu adolescent (SRJA). Si Marlyse a perdu son enfant de quatre mois alors qu’elle avait tout juste 18 ans, Lysette élève seule un petit garçon âgé de six ans - le père de l’enfant est l’oncle de Lysette. “Si je n’avais pas rejoint le réseau, je serais tombée enceinte à nouveau, j’en suis sûre. Et je serais peut-être séropositive”, affirme Marlyse, la responsable des affaires financières du Renata, une jolie jeune fille originaire de Bafoussam, dans l’ouest du pays, qui a dû arrêter l’école après la naissance de sa petite fille. Aujourd’hui, 61 associations de tantines, toutes membres du Renata, assurent une permanence d’écoute, d’accompagnement psychosocial et de conseil aux adolescents dans huit des 10 provinces que compte le pays, des structures encore mal connues de la jeunesse camerounaise. Marlyse a été formée, comme 5 000 autres filles, aux méthodes de prévention des grossesses et des Infections sexuellement transmissibles (IST), mais aussi aux moyens de répondre aux questions et aux problèmes des filles et des mères, aussi peu informées que leurs enfants. “Beaucoup de filles viennent nous voir dans les quartiers, elles veulent des conseils mais elles ne savent pas comment s’y prendre. Elles veulent parler de viols ou avoir des conseils en sexualité, elles se demandent comment faire pour garder leurs petits amis ou comment interrompre une grossesse”, explique Marlyse. Grossesse et VIH vont bien ensemble Toujours, insiste Lysette, la comptable du Renata, les tantines font référence au VIH/SIDA, aux modes de prévention et aux risques que courent les filles à ne pas utiliser de préservatifs, au-delà du risque de grossesse. “Quand on parle de grossesse, on parle de VIH, ça marche ensemble. C’est pour cela que je ne les encourage pas à utiliser la pilule contraceptive : parce que seuls les préservatifs les protégent du VIH”, conclue-t-elle. Munies de fiches et d’une brochure explicative et illustrée, qui recense l’ensemble des problèmes que les jeunes filles rencontrent (toucher abusif par le personnel de santé, refus de préservatif par les petits amis, grossesse, viol, inceste, pilule du lendemain), elles répondent à toutes les questions, conseillent et instaurent un dialogue avec les parents, toujours nécessaire. “Les filles ont peur de leurs parents, c’est ça qui les empêche de parler, surtout s’ils sont sévères”, raconte Marlyse. “Et beaucoup d’entre elles finissent par faire des bêtises, par jeter leurs enfants ou par se tuer en essayant d’avorter.” La jeune fille s’appuie sur sa propre expérience : quand le voisinage est venu informer son père qu’elle était enceinte, sa mère l’a battue “comme si elle voulait [la] tuer, en hurlant qu’[elle couchait] avec tout le monde”. Si Marlyse s’en est sortie, grâce à la présence constante du père de son bébé, cela n’a pas été le cas de Carole, son amie, morte après un deuxième avortement clandestin à l’âge de 21 ans. “Elle avait avalé des herbes, le bébé est mort dans son ventre mais ses parents ont refusé de l’amener à l’hôpital, ils en avaient assez.” Toujours selon l’étude du SRJA, 18 pour cent des 4 000 fille-mères interrogées reconnaissaient avoir déjà avorté une fois, tandis que 62 pour cent d’entre elles avaient accouché avant 19 ans (10 pour cent de mères avaient accouché avant l’âge de 16 ans), la plupart du temps sans avoir consulté de médecins dans des centres de maternité. Ainsi, 26 pour cent des jeunes filles sondées par le SRJA avaient contracté une IST au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête. “Ces constats soulignent l’ampleur des problèmes liés aux grossesses précoces et aux IST/SIDA chez les adolescents en particulier, et chez les jeunes en général”, a expliqué le docteur Ndonko. “Une fille-mère, un adolescent infecté par une IST vit une situation de désespoir et éprouve un besoin accru de soutien et de prise en charge psychosociale.” Le Renata n’a pas, pour l’instant, beaucoup de moyens pour circonscrire un phénomène dont les causes, multiples, sont aussi liées à la pauvreté qui frappe toutes les régions du pays. Les tantines s’adressent donc directement aux adolescents, dans les établissements scolaires et dans les quartiers d’habitation, pour leur redonner une certaine estime d’eux-mêmes. “En ville, nous avons beaucoup de cas de gens stressés, violents, qui agressent les jeunes de six-sept ans, profitant de l’impunité qui prévaut pour ce type d’actes”, a ajouté le docteur Ndonko. “L’inceste, les viols collectifs et le harcèlement à l’école font partie de ces cas que l’on règle à l’amiable, dans la communauté.” Mais de plus en plus, les tantines s’organisent et parviennent à dénoncer l’inexcusable auprès des autorités. Marlyse est ainsi très fière d’avoir pu faire incarcérer, pendant six jours, les violeurs d’une mineure de 17 ans. “Avant qu’on arrive, on violait les filles et même les mamans ici. C’est un phénomène qui est en train de disparaître.”

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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