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Le temps de la réconciliation au Bangladesh ?

Uprising of people at Shahbag, Dhaka, Bangladesh demanding death penalty of Kader Molla and all other war criminals who are now being tried before the International Crimes Tribunal Bangladesh for alleged crimes committed during the Liberation War of Bangl Mehdi Hassan/Flickr
Après les récents troubles qui ont éclaté dans les rues du Bangladesh, les experts s’interrogent sur la manière de tourner la page sur la naissance violente du pays, sans faire plus de morts.

« Il s’agit d’une violence sans précédent et d’une nature choquante. Le pays n’a jamais connu une telle violence depuis l’indépendance du Bangladesh », a déclaré Sabir Mustafa, un analyste politique domicilié à Londres qui étudie la situation politique au Bangladesh.

Les violences ont éclaté après que des sympathisants du plus grand parti politique islamiste du Bangladesh, Jamaat-e-Islami, soient descendus dans la rue début mars pour dénoncer la condamnation à mort de Delawar Hossain Sayede, l’un des hauts dirigeants du parti, pour crimes contre l’humanité commis pendant la guerre de libération contre le Pakistan en 1971.

D’après les estimations de la société civile, les heurts ont fait au moins 98 victimes, dont plusieurs civils. Selon les politologues, ils comptent parmi les pires violences depuis l’indépendance. À l’époque, les affrontements avaient fait près de trois millions de morts selon le gouvernement et un demi-million de morts au total d’après des estimations indépendantes.

Avec au minimum sept autres verdicts, appels et pendaisons attendus, des voix s’élèvent pour apaiser les tensions à l’heure de se pencher sur le passé violent du pays.

Quelle vérité ?

Selon Morten Bergsmo, le directeur du Centre for International Law Research and Policy (Centre de recherche juridique et de politique internationales - CILRAP) dont le siège est à Bruxelles, le problème pour tout tribunal jugeant des crimes de guerre est que le tribunal ne peut, à lui seul, réconcilier un pays divisé encore endeuillé par de nombreuses violations des droits de l’homme.

« Les procès criminels ne sont jamais parfaits… Quand tous les recours sont épuisés, au niveau national et international, nous devons nous contenter d’une vérité judiciaire, capable ou non de réconcilier la société… La justice des crimes de guerre frappe quelques accusés, tandis que les crimes de ces derniers ont peut-être opprimé des milliers de personnes ».

Pour contribuer à connaître la « vérité historique », M. Bergsmo a recommandé de rendre publiques les archives nationales de l’État sur la guerre d’indépendance tout en continuant à rassembler des documents sur cette période.

Bina D’Costa, spécialiste de la sécurité et des droits de l’homme à l’université nationale australienne (ANU) et de nationalité bangladaise, a déclaré que durant sa jeunesse à Dacca, la capitale, dans les années 1980 pendant la dictature militaire de Hussain Muhammad Ershad, elle a avait accès à des versions contradictoires sur la guerre dans les manuels scolaires. C’est seulement en quittant le pays pour se consacrer à la recherche universitaire qu’elle a appris, en détail, les atrocités de la guerre.

« L’histoire révisionniste, notamment dans le parcours scolaire, a réussi à renforcer certains récits et à en discréditer d’autres. Par conséquent, la génération actuelle est aujourd’hui divisée sur l’histoire officielle de la guerre », a déclaré Mme Costa qui a demandé la création d’une « commission d’apaisement qui révélerait les différentes versions de la vérité historique ».

« Il n’y a pas de vision crédible et globalement acceptée sur ce qui s’est exactement passé, pourquoi [c’est] arrivé, l’ampleur des évènements, qui a fait quoi, qui étaient les criminels et qui étaient les victimes », a ajouté Muhammad Ahmedullah, secrétaire d’une diaspora bangladaise implantée à Londres.

Atteindre une mémoire collective est un premier pas pour la réconciliation ; sans ce consensus, les gens ne peuvent pas expliquer, justifier ou demander pardon pour ce qu’ils ont fait ou cautionné, parfois sous la contrainte ou la menace, a-t-il ajouté.

Mais une compréhension collective du passé n’est pas ce que souhaite Mojibur Rahman, un homme de 74 ans qui a perdu 17 membres de sa famille, dont ses parents, lors d’une attaque militaire pakistanaise. Il réclame plutôt des condamnations.

Au total, il estime à plus de 100 le nombre de civils sans armes qui ont péri dans l’attaque de son village du district de Barisal.

« Il faut absolument que les criminels de guerre comparaissent [devant la justice]. Je pense qu’il est indispensable pour nous d’obtenir une certaine forme de justice pour le préjudice subi [et] que le tribunal qui juge les criminels de guerre soit impartial et exempt de politisation ».

Tribunal pénal


Le Tribunal pour les crimes internationaux créé par l’État en 2010 a jusqu’ici inculpé 12 personnes pour crimes de guerre.

Depuis les années 1970, sur les 90 pays qui ont systématiquement pris des mesures contre de graves violations des droits de l’homme commises sur leur territoire, environ 40 pays ont mis en place des commissions de vérité, tandis que 50 autres ont eu recours à des procédures pénales, a déclaré Hun Joon, expert en justice transitionnelle de l’Asia Institute à l’université Griffith à Brisbane, en Australie.

« Toutes ces procédures entraînent, presque à chaque fois, une certaine forme de réaction de la part des membres des régimes précédents ou de leurs ardents défenseurs qui tentent de faire échouer le processus », a écrit à IRIN M. Joon.

Des dirigeants de Jamaat-e-Islami, parti auquel appartiennent huit des prévenus, et des dirigeants du parti national du Bangladesh, auquel appartiennent deux des prévenus, accusent le procès d’être politisé par la Ligue Awami, le parti au pouvoir afin de miner l’opposition avant les élections présidentielles de janvier 2014.

La Commission internationale de juristes (ICJ) établie à Genève a dénoncé la condamnation à mort du dirigeant de Jamaat, M. Sayede, en réclamant « la justice et non la vengeance ». L’ICJ a affirmé que le tribunal avait montré « de sérieux vices de procédure à tous les niveaux », notamment des accusations d’enlèvements et d’intimidations de témoins, ainsi qu’une collusion entre le gouvernement, les procureurs et les juges, ce que le gouvernement dément totalement.

« Il ne s’agit pas d’un procès politique. C’est un tribunal public et transparent qui reflète l’attachement du gouvernement au processus démocratique », a déclaré à IRIN Shafique Ahmed, ministre du Droit, de la Justice et des Affaires parlementaires.

« Le tribunal a été complètement séparé de l’exécutif. L’accusation et les organismes d’enquête sont des entités distinctes. Le gouvernement n’a aucune possibilité d’interférer avec le tribunal », a-t-il ajouté.

La réconciliation est encore loin

Selon l’ONG (organisation non gouvernementale) locale de défense des droits de l’homme, Odhikar, après les violentes manifestations de rue, la police a adopté une politique de tolérance zéro et a ouvert le feu sur les manifestants, tuant aveuglément. Les médias locaux font état de 67 à 185 victimes, dont huit policiers.

L’analyste pays, M. Mustafa a déclaré que si la politique au Bangladesh a toujours eu un côté violent, « les manifestants n’avaient jamais ciblé les forces de police ou les infrastructures de l’administration locale avant… Cela pose un sérieux problème concernant la sécurité intérieure et la capacité du gouvernement à fournir des services ».

M. Bergsmo, le chercheur juridique a appelé à « de la retenue et de la prudence du côté de ceux qui redoutent comme de ceux qui soutiennent la procédure des crimes de guerre » tout au long du procès.

M. Bergsmo a également demandé la clémence pour le condamné : « Le fait que 40 ans aient passé et que le Bangladesh reste une société largement divisée invite à la clémence dans un objectif de réconciliation et d’unité ».

Mais pour Ali Riaz, président du département politique à l’université de l’Illinois aux États-Unis, la réconciliation n’a « aucun sens » si les auteurs des violences de 1971 ne reconnaissent pas leur culpabilité.

« Au Bangladesh, la ‘vérité’ n’a jamais été abordée. Il n’y a jamais [eu] d’aveu de la part des coupables d’avoir, collectivement ou individuellement, commis des crimes contre un pays, contre l’humanité », a déclaré à IRIN M. Riaz. « Tant que [cet] aveu n’a pas eu lieu, la question de la réconciliation n’a aucun sens ».

Le ministre M. Ahmed a confirmé que le gouvernement n’envisageait aucun projet de réconciliation tant que la procédure pénale est en cours.

mh/pt/rz-fc/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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