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Le paradoxe du déclin de la mortalité maternelle au Népal

Women in Salyan District hospital maternity ward Phuong Tran/IRIN

Si les experts de la santé se réjouissent du déclin du taux de mortalité maternelle observé au Népal au cours des dernières années, ils estiment cependant que cette tendance ne peut durer si le pays ne remédie pas à son manque de personnel qualifié, en particulier de sages-femmes.

Entre 1996 et 2006, le Népal a presque réduit de moitié son taux de mortalité maternelle. Selon la plus récente Enquête démographique et de santé (Demographic and Health Survey, DHS), celui-ci est passé de 539 à 281 décès pour 100 000 naissances vivantes. Un rapport des Nations Unies publié en 2012 estimait que le taux de mortalité maternelle était de 170 en 2010 (la marge d’incertitude oscillait entre 100 et 290).

Le déclin de la mortalité maternelle observé au Népal depuis le début des années 1990 a fait du pays le plus récent exemple de réussite dans le domaine, au même titre que le Bangladesh. Les progrès réalisés sont comparables à ceux enregistrés il y a plusieurs dizaines d’années dans des pays comme la Malaisie, la Thaïlande et Cuba, a dit à IRIN Julia Hussein, auteure principale d’une expertise médicale sur la réduction de la mortalité maternelle au Népal publiée en 2011.

Les experts continuent d’essayer de comprendre les causes du déclin de la mortalité maternelle survenu au cours des dix dernières années au Népal.

« Le problème, c’est que nous ne disposons pas des données nécessaires pour déterminer les causes de la diminution de la mortalité maternelle », a dit Mme Hussein, qui cherchait plutôt à identifier des changements associés au déclin. « Le paradoxe, au Népal, c’est que la mortalité maternelle diminue même si la qualité des soins pré- et post-nataux est faible. »

Il y a généralement une association positive entre l’augmentation du taux de naissances en présence d’accoucheurs qualifiés (skilled birth attendants, SBA) et le déclin du taux de mortalité maternelle, mais cette corrélation n’est pas très forte dans les pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie, a dit Mme Hussein à IRIN.

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer le succès du Népal, a dit Kabiraj Khanal, sous-secrétaire au ministère de la Santé et de la Population. « On ne peut attribuer le déclin de la mortalité maternelle à une seule cause, car plusieurs mesures ont été mises en oeuvre simultanément. »

Qu’est-ce qui fonctionne ?

Les principales raisons identifiées par les praticiens de la santé étaient la baisse du taux de natalité, les changements sociétaux et les programmes gouvernementaux destinés à améliorer la demande et l’offre de soins maternels.

Les femmes donnent maintenant naissance, en moyenne, à 2,6 enfants, contre 4,6 enfants il y a 15 ans, un déclin que M. Khanal attribue aux développements sociaux et économiques, et notamment à la migration des pères pour trouver du travail.

« Le programme népalais de planification familiale est plutôt solide », a dit Mme Hussein. La moitié des femmes interrogées dans le cadre de l’Enquête démographique et de santé 2011 ont dit utiliser un moyen de contraception. « La diminution du taux de natalité peut permettre de réduire la mortalité maternelle dans une certaine mesure, mais, éventuellement, on atteint un point où les femmes veulent quand même avoir des enfants », a-t-elle cependant ajouté.

Mme Hussein a découvert que l’amélioration de l’éducation, de l’influence, de la richesse et des conditions de vie des femmes était aussi étroitement associée au déclin de la mortalité maternelle. Au Népal, l’Indice de développement humain (IDH), qui évalue le bien-être d’une population en mesurant la pauvreté, l’éducation et l’espérance de vie, est passé de 0,34 en 1990 à 0,46 en 2012 ; l’alphabétisation des femmes est passée de 35 pour cent en 2001 à 57 pour cent dix ans plus tard.

« Du côté de la demande, le comportement des habitants par rapport aux soins de santé a changé et, du côté de l’offre, les centres de santé, les hôpitaux, les services et les travailleurs de la santé se sont multipliés », a dit Ganga Shakya, conseillère en matière de santé maternelle et néonatale pour le Programme de soutien du secteur de la santé népalais (Nepal Health Sector Support Programme), un projet gouvernemental d’assistance technique financé par le Royaume-Uni.

En 2009, dans le cadre d’un programme de maternité sans risque, le gouvernement a commencé à offrir des services d’accouchement gratuits et des allocations de voyage de 5,80, 11,50 et 17,30 dollars pour que les femmes vivant, respectivement, dans les régions de plaines, de collines et de montagnes puissent se rendre dans les centres de naissance habilités. Les femmes enceintes peuvent également obtenir environ 5 dollars si, conformément aux recommandations internationales en matière de santé maternelle, elles consultent un travailleur de la santé à au moins quatre reprises pendant leur grossesse.

Les centres de santé reçoivent de l’argent pour se procurer les médicaments et le matériel nécessaire pour les accouchements : 11 dollars pour un accouchement vaginal, 34 dollars pour un accouchement avec complications obstétriques et 80 dollars pour une césarienne.

En l’absence de sages-femmes professionnelles, les femmes enceintes népalaises dépendent du savoir-faire de 4 000 accoucheurs qualifiés dotés des compétences obstétriques essentielles et des conseils fournis par 52 000 volontaires féminines en santé communautaire recrutées dans le cadre d’une initiative gouvernementale lancée en 1988 pour endiguer la mortalité maternelle et néonatale (nouveau-nés de 28 jours et moins).

« Dans les villages isolés, elles [les volontaires] sont souvent considérées comme des médecins... Elles sont… en contact permanent avec les femmes les plus pauvres, qui ont souvent de la difficulté à parcourir de longues distances pour se rendre à l’hôpital », a dit Jung Shah, directeur d’hôpital du principal centre de santé public de la région du mid-ouest.

Le pourcentage de naissances assistées par une personne officiellement formée pour accoucher a presque doublé au cours des cinq dernières années et atteignait 36 pour cent en 2011.

Dans les régions rurales, le nombre de naissances en présence d’un accoucheur qualifié a plus que doublé au cours des cinq dernières années et leur proportion est passée de 14 pour cent à 32 pour cent. Dans les régions montagneuses toutefois, la grossesse est encore souvent une affaire de famille, et seulement 15 pour cent des femmes obtiennent l’aide d’une personne extérieure formée pour accoucher.

La proportion d’accouchements se déroulant dans les centres de santé a atteint 35 pour cent en 2011, contre 18 pour cent en 2006. Pendant la même période, le nombre de districts ayant au moins un centre pratiquant des césariennes est passé de 30 à plus de 50, tandis que le nombre de centres offrant des services d’accouchement 24 heures sur 24 est passé de 300 à 1 200. L’avortement a été légalisé en 2002 et 300 sites sont maintenant enregistrés sur l’ensemble du territoire.

« Nous nous intéressons essentiellement aux causes de la mortalité maternelle », a dit Shilu Aryal, consultant en obstétrique et gynécologie auprès de la division de la santé familiale du ministère de la Santé et de la Population.

Lorsque l’hémorragie post-partum a été identifiée comme la première cause de décès maternel, des volontaires féminines ont distribué des comprimés de misoprostol (un médicament qui provoque des contractions de l’utérus et réduit les pertes de sang) dans les foyers afin de réduire le risque de saignements excessifs à la suite d’accouchements à la maison.

Par ailleurs, le ministère de la Santé a récemment décidé d’offrir gratuitement des transfusions de sang aux femmes enceintes en plus des injections d’ocytocine (pour arrêter les saignements) qu’il propose déjà sans frais dans les centres de santé depuis 2002.

Que faut-il améliorer ?

Si le pays est en voie d’atteindre l’un des Objectifs du Millénaire pour le développement, qui est de réduire son taux de mortalité maternelle des trois quarts par rapport au taux de 1990 (soit d’atteindre 134 décès pour 100 000 naissances vivantes), le gouvernement demeure malgré tout prudent.

« Nous atteindrons éventuellement un plateau, et il sera plus difficile de réduire la mortalité maternelle par la suite. Rendus là, nous aurons besoin de sages-femmes qualifiées », a dit Senendra Raj Upreti, directeur de la division de la santé familiale.

En 2006, le Népal a développé une politique nationale afin d’accroître la proportion de femmes enceintes assistées par des accoucheurs qualifiés, qui, à l’époque, était de 18 pour cent seulement. La politique proposait notamment des mesures pour améliorer les compétences en obstétrique des infirmières, des médecins et des sages-femmes auxiliaires (ces dernières reçoivent une formation théorique et pratique moins poussée que les sages-femmes). Elle prévoyait par ailleurs d’offrir une formation d’au moins trois ans à un nouveau groupe de sages-femmes professionnelles.

Depuis lors, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) a élaboré une ébauche de programme de Baccalauréat en pratique sage-femme et étudié la manière de l’incorporer dans les établissements d’enseignement népalais.

« Les sages-femmes professionnelles peuvent prévenir jusqu’à 90 pour cent des décès maternels là où elles sont autorisées à exercer », suggère une étude de l’UNFPA publiée en 2012. « L’investissement dans la formation de sages-femmes a été identifié comme la solution la plus rapide et la plus rentable pour améliorer le taux de naissances en présence d’accoucheurs qualifiés » – un indicateur pour lequel le Népal est toujours à la traîne. L’objectif est que 60 pour cent des femmes bénéficient de l’assistance d’un praticien compétent au moment de donner naissance ; le taux le plus récemment enregistré était de 36 pour cent.

Le mois dernier, le gouvernement a mis sur pied un groupe de travail sur la formation en pratique sage-femme. Le président du groupe espère former les premières sages-femmes du pays d’ici 2014.

Personnel de santé

Le manque de sages-femmes n’est cependant qu’un aspect du problème plus vaste du recrutement auquel est confronté le Népal, en particulier dans les régions les plus isolées, où le personnel de santé est réticent à s’installer.

La répartition et le nombre de travailleurs de la santé n’ont pas changé au cours des 15 dernières années, a dit M. Aryal, le consultant en obstétrique et gynécologie. « Il y a 15 ans, le Népal comptait 10 millions d’habitants. Nous sommes désormais 30 millions et le nombre d’employés dans les hôpitaux est resté le même. »

Le plan gouvernemental 2011-2015 sur les ressources humaines en santé a relevé cette disparité. Au cours de la dernière décennie, la population a connu une hausse de 45 pour cent tandis que le personnel de santé dans le secteur public n’a augmenté que de 3 pour cent.

Le Népal compte 0,29 travailleur de la santé pour 1 000 habitants, ce qui ne représente qu’une maigre fraction des 2,3 recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour offrir les soins de santé vitaux, et notamment pour administrer les vaccins.

Et si le secteur privé s’est considérablement développé, la plupart des cliniques sont situées dans les zones urbaines (dans un pays où environ 80 pour cent de la population vit dans les régions rurales) et sont inabordables pour les pauvres.

Le Népal doit améliorer son système d’aiguillage dans les régions isolées pour permettre le transport des femmes souffrant de complications médicales vers d’autres centres, a dit Asha Pun, spécialiste de la santé maternelle et néonatale auprès du bureau du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) à Katmandou.

L’accès à la planification familiale est toujours dangereusement hors de portée des jeunes, a dit l’ancienne représentante adjointe de l’UNFPA au Népal, Geetha Rana. Dans l’ensemble du pays, 27 pour cent des femmes mariées ont un besoin de planification familiale non comblé. Ce chiffre atteint 42 pour cent si on tient seulement compte des femmes âgées de 15 à 19, ce qui est significatif lorsqu’on sait que la moitié des femmes népalaises se marient avant l’âge de 18 ans.

Mme Hussein suggère quant à elle d’améliorer le système népalais d’enregistrement des décès afin de comprendre ce qui a fonctionné – et ce qui n’a pas fonctionné – dans les mesures destinées à réduire la mortalité maternelle. « Les chiffres sont en baisse, mais on ne peut en tirer des leçons qu’en créant des systèmes de collecte de données qui nous permettent d’expliquer ce déclin. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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