« C’est plus dangereux qu’avant. Pas seulement pour les étrangers, mais ils sont les premiers visés », a dit Nasser Arrabyee, analyste et journaliste local.
« Depuis les élections de février, la situation sécuritaire s’est progressivement dégradée », a dit à IRIN Siris Hartkorn, responsable de l’analyse des risques à Safer Yemen, un cabinet de conseils spécialisé dans la sécurité des organisations humanitaires. « C’est plus dangereux que jamais. »
Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a lancé l’année dernière un processus de transition en négociant un accord qui prévoyait le retrait du président Ali Abdullah Saleh, la tenue de nouvelles élections présidentielles et une période de dialogue national. Mais ce processus est entravé par des dissensions persistantes au sein de l’armée et de la société en général.
Ce qui semblait assuré ne l’est plus.
Les voies de communication établies entre les tribus – qui contrôlent une grande partie des zones rurales du Yémen et sont souvent à l’origine des enlèvements – et le gouvernement central ne sont plus forcément en place. Selon des observateurs comme l’influent International Crisis Group (ICG), les allégeances fluctuent et les services de sécurité participent au clivage politique.
« Des divisions subsistent au sein des forces armées. Les allégeances sont partagées entre les tribus, entre l’actuel et l’ancien président, et les nouvelles nominations à des postes de l’armée accentuent ce manque de cohésion, » a dit M. Arrabyee.
Les ententes verbales passées précédemment entre le gouvernement et les tribus pour que les enlèvements de citoyens étrangers soient résolus par le biais de négociations ne sont plus forcément valables.
« Avant, lorsqu’un étranger était enlevé, on savait généralement quelle tribu était en cause et les raisons qui avaient motivé son acte. La plupart du temps, [les enlèvements] servaient à appuyer les revendications sociales adressées au gouvernement et non à l’organisation à laquelle appartenait la victime. Les auteurs des récents enlèvements se confondent. Ce sont maintenant à la fois des groupes tribaux, des organisations criminelles et des acteurs politiques, ce qui complique encore davantage la situation. Il n’est pas toujours évident de savoir qui est à l’origine de ces actes », a dit Mme Hartkorn.
« Le principal danger qui se dessine pour les travailleurs humanitaires, c’est la recrudescence des attentats dirigés contre eux. Cela pourrait finir par arriver, car ils ont maintenant un double rôle, qui est également politique » |
Jusqu’à récemment, même les étrangers enlevés par Al-Qaida, qui est profondément intégrée dans les tribus locales, étaient relativement bien traités. Par le passé, les étrangers étaient rarement pris pour cible dans le simple but de s’attaquer à une organisation étrangère. Mais depuis que le gouvernement et les forces armées américaines ont accentué la pression sur Al-Qaida, les attaques de l’organisation terroriste, qui se limitaient auparavant aux zones rurales, touchent aussi la capitale. En 2012 seulement, plus de 60 membres des forces de sécurité gouvernementales ont été assassinés par Al-Qaida. Il semble peu probable que les étrangers ne soient pas eux aussi pris pour cible.
« La cellule yéménite d’Al-Qaida était bien intégrée à bien des égards dans les structures tribales locales et les lois [de l’hospitalité] étaient et sont toujours respectées, dans une certaine mesure, dans les affaires d’enlèvement. Ce n’est pas forcément le cas pour les combattants étrangers qui ont rejoint Al-Qaida au cours de l’année passée, surtout lorsqu’ils viennent de milieux plus violents comme la Somalie, l’Irak ou l’Afghanistan », a dit Mme Hartkorn.
Des visions différentes de la neutralité
L’implication importante des Nations Unies dans le processus de transition pourrait être considérée comme incompatible avec son mandat humanitaire. Les sympathisants du président déchu considèrent le processus de transition actuel comme un coup d’État et le mouvement indépendantiste sudiste y est violemment opposé.
« Les Nations Unies jouent maintenant différents rôles : elles doivent assurer une distribution impartiale de l’aide humanitaire et assumer une mission plus politique, en contrôlant notamment la mise en œuvre de l’accord et des résolutions du Conseil de sécurité », a dit Mme Hartkorn.
Avec les changements d’alliances politiques, les possibilités pour les tribus de générer des revenus grâce aux versements du gouvernement varient également.
De nombreux habitants ont perdu leur source de revenus à cause des conflits qui font toujours rage dans le Nord et dans le Sud. Les jeunes, en particulier, pourraient chercher d’autres manières de gagner leur vie. Selon certaines rumeurs, des jeunes rejoignent déjà Ansar al-Sharia – un mouvement local issu d’Al-Qaida –, principalement pour se faire un peu d’argent.
Le risque serait que les enlèvements deviennent une forme de gagne-pain.
« Pour l’instant, les enlèvements n’ont pas pour objet la construction d’écoles ou de nouvelles routes. Ce n’est actuellement pas la priorité du gouvernement ni des tribus. Pour le gouvernement, la priorité est de survivre à la période de transition. Les tribus cherchent quant à elles à se positionner dans un nouveau réseau de clientélisme d’État », a dit Mme Hartkorn. « Le principal danger qui se dessine pour les travailleurs humanitaires, c’est la recrudescence des attentats dirigés contre eux. Cela pourrait finir par arriver, car ils ont maintenant un double rôle, qui est également politique. »
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