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Dialogue et divisions au Yémen

Members of the southern movement (Hirak) raise the separatist flag of South Yemen Adel Yahya/IRIN

Près d’un an après la signature de l’accord de paix reposant sur l’initiative du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le Yémen est engagé sur la voie de la transition politique mais reste profondément divisé, alors que la pauvreté augmente.

Le comité technique, formé en juillet afin d’organiser la transition, rassemble les principaux groupes, à l’exception d’al-Hirak (le Mouvement du Sud). Généralement perçu comme étant neutre et légitime, le comité a proposé un plan d’action en 20 points, mais aucune de ses recommandations n’a pour l’instant été appliquée.

L’accord du CCG souligne que le dialogue national est le meilleur moyen d’avancer. Retardé de deux mois, il devrait être lancé le 15 novembre.

Bon nombre de Yéménites sont frustrés par la lenteur des réformes. « Le nouveau Yémen, c’est la même chose que l’ancien Yémen. Les hommes forts du régime de M. [Ali Abdullah] Saleh sont toujours en place, M. Saleh est le seul à être parti », a dit le journaliste Nasser Arrabyee.

L’accord du CCG a toutefois permis d’éviter l’éclatement d’une guerre civile, a dit à IRIN Tim Petschulat, directeur pays de la Fondation Friedrich-Ebert, une organisation non gouvernementale (ONG) allemande présente au Yémen – un fait qui échappe souvent aux nombreux Yéménites qui pensent que la révolution a été récupérée par les élites.

D’autres trouvent que le processus de dialogue est trop opaque pour les citoyens ordinaires.

« Il est perçu comme étant élitiste », a dit à IRIN Colette Fearon, directrice d’Oxfam pour le Yémen. « Le défi est le suivant : Comment instaurer le dialogue à tous les niveaux de la société ? »

Les jeunes se sentent exclus. Le gouvernement de transition est essentiellement composé de membres des JMP (Joint Meeting Parties) et du Congrès général du peuple (CGP). Les jeunes qui ont conduit la révolution et installé des camps de protestation dans les parcs de la ville ont été mis sur la touche, ce qui a suscité de la rancœur.

Selon un rapport publié en septembre 2011 par le think-tank local « Domains Centre for Research and Studies », environ 2 195 people ont trouvé la mort entre février et août 2011 (le pic des manifestations). Parmi ces victimes, on a dénombré 238 jeunes révolutionnaires/manifestants, 600 soldats des unités pro et anti-révolution, et des civils/membres des tribus favorables ou opposés aux jeunes.

Des élections en février 2014 ?

La deuxième étape du processus de transition, qui s’étale sur les six mois à venir, prévoit la signature d’accords sur neuf sujets touchant aux réformes du service public et à la protection des minorités ; à la rédaction d’une nouvelle constitution avant les élections présidentielles et législatives de février 2014 – un calendrier qui semble peu réaliste.

« Je ne vois pas comment on peut l’appliquer d’ici à février 2014. Le dialogue doit porter sur des questions fondamentales », a dit M. Petschulat. « Ce calendrier ne permettra pas de mettre en place un authentique processus conduit par les Yéménites eux-mêmes ».

Le fait qu’un grand nombre de Yéménites soient préoccupés par leur survie constitue un autre obstacle au dialogue. Suite à l’aggravation de la situation économique, bon nombre d’entre eux ont épuisé leurs mécanismes d’adaptation.

Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté atteignait 42 pour cent de la population en 2009 et  54,4 pour cent de la population en 2012 ; les habitants des zones rurales, les femmes et les 507 970 personnes déplacées internes étaient les plus affectés.

« La population arrive à peine à survivre et elle constate que le gouvernement ne répond pas à ses besoins fondamentaux. Si elle n’assiste pas à la mise en œuvre progressive des réformes, elle aura le sentiment de ne voir aucun changement positif », a dit Mme. Fearon.

Le combat de M. Hadi contre l’armée

Le président Hadi a quant à lui des difficultés à restructurer l’armée et nombreux sont ceux qui doutent de sa capacité à appliquer l’accord du CCG.

Il n’a pas de base de pouvoir et est pris entre deux commandants rivaux - Ahmad Ali Saleh, le fils de l’ancien président, et le général Ali Mohsen. Le premier commande la Garde républicaine, le second la Première division blindée.

Chacun des deux commandants espérait que l’accord du CCG permettrait de réduire le pouvoir militaire de son rival. Jusqu’à présent, seule l’influence de la famille de l’ancien président a été limitée, ce qui, selon ses partisans, démontre que la révolution n’était rien d’autre qu’un complot fomenté par M. Mohsen, a écrit l’influent International Crisis Group.

« L’un des commandants pourrait créer le chaos si le dialogue ne lui permet pas de conserver son poste et son influence », a dit Rajeh al-Hasani, un expert militaire du gouvernorat d’Abyan.
 

Principaux acteurs

Congrès général du peuple (CGP) – Parti politique dirigé par l’ancien président et soutenu par les hommes forts des tribus et de l’armée qui ont servi sous ses ordres, et par les personnes qui occupent toujours des postes clés au sein de l’armée et de la sécurité

Joint Meeting Parties (JMP) – Une coalition de six grands partis, soutenue par l’influent cheik Hamid al-Ahmar; son frère aîné Sadiq, qui est à la tête de la Confédération tribale Hashid (HTC) et le général Ali Mohsen.

Le Mouvement du Sud (al Hirak) – al Hirak réclame la sécession depuis 2007 et le retour à l’État indépendant du Sud d’avant 1990.

Les Houthis – Un mouvement rebelle chiite zaydite actif dans le Nord et qui lutte pour le rétablissement de l’imamat zaydite d’avant 1962. Selon certaines allégations, le groupe bénéficierait du soutien de l’Iran et, plus récemment, de l’ancien président Saleh.

Deux commandants rivaux - Ahmad Ali Saleh, fils de l’ancien président, et le général Ali Mohsen Saleh. Le premier commande la Garde républicaine, le second la Première division blindée.

La composition du Comité technique, qui rassemble 25 membres, était relativement équilibrée jusqu’à la nomination par M. Hadi de six membres supplémentaires (généralement considérés comme étant des partisans de M. al-Ahmar et de M. Mohsen).

De plus, le récent remaniement effectué par le gouvernement s’est traduit par la nomination par M. Hadi de personnes originaires de son district d’Abyan à des postes de dirigeants, ce qui, selon certaines personnes, constitue un mauvais présage.

L’ancien président tire-t-il toujours les ficelles ?

Bon nombre d’experts pensent que l’ancien président joue toujours un rôle très actif dans la politique yéménite, notamment grâce à son fils.

Des membres du JMP demandent l’exclusion de l’ancien président de la vie politique (M. Saleh est encore président du CGP), et le remplacement de ses partisans qui occupent des postes clés au sein de l’armée. « M. Saleh s’est vu accorder l’immunité à condition qu’il quitte la politique », a dit M. Sadiq al-Ahmar à IRIN.

L’un des objectifs de l’accord du CCG – la démilitarisation des principales villes –  a été partiellement atteint. Les domiciles des dirigeants influents sont toujours placés sous la protection de milices bien armées.

« Les membres du HTC [la Confédération tribale Hashid favorable aux JMP] soutiennent qu’ils veulent mettre en place un État civil, mais leurs actions contredisent leurs paroles. Leurs domiciles à Sanaa sont pleins d’armes », a dit à IRIN Ali Senan, un haut responsable du CGP.

Les Houthis

Bien que ce groupe rebelle chiite, actif dans le nord du pays, dénonce ce qu’il juge être une ingérence des États-Unis et de l’Arabie saoudite, il indique être prêt à participer au dialogue national.

L’insurrection houthiste, qui a débuté en 2004, gronde dans le nord du pays. Certains pensent que les Houthis participent à une guerre par factions interposées pour l’influence régionale qui met aux prises l’Iran et l’Arabie saoudite, mais les Houthis eux-mêmes indiquent se battre pour avoir davantage de poids dans la conduite de leurs affaires.

Des affrontements sporadiques ont été signalés entre les salafistes (qui qualifient les Houthis d’infidèles) et les Houthis dans les gouvernorats d’Amran, de Hajjah et d’al-Jawf dans le nord du pays.

Ces affrontements ont provoqué d’importants déplacements. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), le conflit qui secoue le nord du pays avait entraîné le déplacement de 323 992 personnes en septembre 2012.

Les dirigeants houthistes reprochent à M. Hadi d’avoir autorisé les États-Unis à interférer dans les affaires domestiques du Yémen. « Comment peut-on participer au dialogue alors que l’ambassadeur américain est assis à la table ? Nous ne participerons pas à un dialogue supervisé par une Amérique qui tuent des Yéménites avec ses drones », a dit à IRIN Dhaifullah al-Shami, un haut dirigeant houthiste.

Selon un expert, les groupes yéménites se préoccupent avant tout de leurs intérêts personnels. « Seuls leurs intérêts personnels comptent », a dit Abdurrahman al-Marwani, président de Dar al-Salam Organization, une ONG locale.

La question du Sud

Le Mouvement du Sud (al Hirak) ne participe pas au dialogue national.

Alors que plus de 70 pour cent des ressources en pétrole et en gaz sont concentrées dans le sud du pays, bon nombre de sudistes estiment que la réunion de la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud) et de la République arabe du Yémen (Yémen du Nord) en 1991 était une erreur. Une guerre civile a secoué le pays pendant deux mois en 1994.

Les militants et les experts indiquent que les tensions croissantes dans le Sud sont dues à l’intransigeance des dirigeants du Nord. « Comment peut-on dialoguer avec ceux qui continuent à s’emparer de nos biens en toute illégalité ? », a demandé Najla Abdulwasea, une militante d’Aden.

« Tout le monde n’est pas favorable à la sécession du Sud. La population veut un dialogue ouvert, sans tabous. Le Mouvement du Sud rejette l’accord du CCG, car l’objectif du dialogue national est le maintien d’un "Yémen uni" », a dit à IRIN M. Petschulat de la Fondation Friedrich-Ebert. « Personne ne croit qu’un gouvernement de Sana’a fera quelque chose dans le Sud ».

« Ces cheiks [du Nord] n’ont pas changé d’attitude pour l’instant et ils aggravent la division dans le pays », a dit Tareq al-Harwi, un autre militant d’Aden.

Mohammed Bel-Ghaith, un professeur de droit à l’université d’Aden, pense que le Mouvement du Sud n’a pas le choix : « Comment les sudistes peuvent-ils accepter de dialoguer alors qu’ils sont traités injustement ? Les sudistes doivent boycotter le dialogue et poursuivre la lutte pour que leurs droits soient rétablis ».

M. Petschulat pense qu’il serait logique que les Houthis, le Mouvement du Sud, les socialistes et d’autres encore construisent une alliance pour réclamer la construction d’un État fédéral doté d’un parlement fort afin de contrer ceux qui souhaitent maintenir un contrôle central : le CGP, qui considère que sa principale réussite – l’unité – est en danger ; les salafistes, qui craignent qu’il soit plus difficile de réclamer un renforcement du pouvoir religieux ; et les Al-Ahmars, dont l’influence serait limitée à Amran, une région pauvre en ressources.

« Jusqu’à présent, les membres du Mouvement du Sud se disent favorables à la sécession », a dit M. Petschulat. « Entre ceux qui demandent la création d’un État central et ceux qui demandent la sécession – la solution fédérale serait un compromis naturel, parce que le Nord devrait refuser de laisser un Sud riche en ressources partir, et parce que la communauté internationale n’est pas favorable à l’indépendance du Sud. La situation se résume à deux choix : un authentique État fédéral ou une guerre civile ».

ay/kb/cb-mg/ag/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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