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Les groupes armés ne devraient pas faire leur propre loi

Mupira Baziralo, 25, in the sleeping quarters of MONUSCO’s DDRRR facility. He was a combatant for the Mai-Mai Kifua-Fua for seven years Guy Oliver/IRIN
Former Mai-Mai Kifua-Fua combatant Mupira Baziralo in the sleeping quarters of MONUSCO’s DDRRR facility, Goma, eastern DRC
La vaste majorité des conflits impliquent non seulement des troupes gouvernementales mais aussi des groupes armés agissant hors du contrôle de l’État. Si certains de ces groupes cherchent à respecter le droit humanitaire international et les droits humains, d’autres se font une fierté de mépriser les lois de la guerre.

« C’est l’ensemble de la population qui est placée au cœur de ce type de conflit [non international], tant par les groupes rebelles que par les forces régulières. Les civils sont à la fois l’enjeu et les principales victimes de ces guerres », a indiqué le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans l’édition de juin 2011 de la Revue internationale de la Croix-Rouge.

Les groupes armés les plus connus – l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et tout un éventail de groupes rebelles appartenant à la mouvance salafiste – utilisent la terreur pour contrôler les populations affectées. D’autres considèrent l’adhésion aux normes humanitaires comme une composante importante de la lutte. Dans les deux cas toutefois, leur compréhension des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels, qui comptent plus de 500 articles, est peut-être inadéquate.

Dans un article publié en 2011 et intitulé Reasons Why Armed Groups Choose to Respect International Humanitarian Law or Not [Les raisons qui poussent les groupes armés à respecter ou non le droit humanitaire international], Olivier Bangerter, un ancien conseiller du CICR pour le dialogue avec les groupes armés, écrit : « On peut se demander jusqu’à quel point la connaissance du contenu du droit humanitaire international (DHI) de nombreux dirigeants et combattants va réellement au-delà de certaines notions de base. […] Les groupes [armés] qui bénéficient des conseils d’avocats qui connaissent bien le DHI sont rares ; dans la plupart des cas, leur connaissance leur vient de ouï-dire et de lectures de qualité variable. »

Établir des relations avec les groupes armés

Pour les organisations non gouvernementales (ONG), établir des relations avec les groupes armés afin de leur faire connaître leurs obligations humanitaires est un véritable défi. On peut notamment les accuser de « conférer une légitimité » à ces groupes armés – les gouvernements affectés évoquent parfois des violations de leur souveraineté – ou d’enfreindre la législation internationale en matière de lutte contre le terrorisme.

Les groupes armés sont aussi très différents les uns des autres. Martin Lacourt, coordinateur des relations du CICR avec les forces armées, a dit à IRIN : « Il n’y a presque aucun point commun entre le Hezbollah – qui dispose d’une solide chaîne de commandement et qui est capable de mener des opérations terrestres, aériennes et navales – et les Forces de défense de la terre des Sabaot (Sabaot Land Defence Front, SLDF), qui sont basées près du mont Elgon, au Kenya. Les groupes armés représentent une grande variété d’acteurs allant de simples bandes de prédateurs à des organisations quasi-étatiques. Les approches normalisées sont vouées à l’échec et il est impossible de concevoir du matériel standard. Le CICR cherche donc à adopter des approches sur mesure. »

Aux Philippines et au Soudan, le CICR a organisé des ateliers pour les chefs de groupes armés afin de leur donner « des informations au sujet du contenu du DHI. […] [Mais] seuls les dirigeants des groupes armés peuvent imposer les règles du DHI », a-t-il dit. L’organisation humanitaire a également prodigué des conseils en matière de DHI à des groupes armés en République centrafricaine (RCA), en Colombie, en République démocratique du Congo (RDC) et dans la bande de Gaza.

« Les groupes armés qui disposent de systèmes d’éducation et de formation efficaces sont rares, mais ils ont tous une forme de doctrine, un code de conduite et des sanctions pour punir les comportements inappropriés, et notamment les vols, les pillages, les actes de cruauté, les agressions, les viols et les mauvais traitements envers les prisonniers », a dit M. Lacourt. Le CICR peut conseiller les groupes armés au sujet de l’intégration des règles du DHI dans leurs documents de politique, mais il n’approuve pas pour autant pas leur code de conduite.

« Si elles sont intégrées adéquatement, les règles du DHI peuvent être formulées de manière à être comprises facilement et respectées par les membres du groupe armé. Il est en effet peu probable que les combattants prêtent attention à des textes juridiques complexes », indique la publication de juin 2011 du CICR. Et même les discussions à ce sujet « peuvent faire réfléchir les groupes [armés] sur le DHI et sur leur comportement par rapport à ses règles ».

Selon le CICR, l’article 3, commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, oblige les acteurs non-étatiques – y compris les entreprises et les groupes armés – à respecter environ 140 des quelque 160 règles coutumières du DHI qui s’appliquent aux États.

Or, « si les groupes armés sont liés par le DHI et par le droit coutumier ou conventionnel international, ils sont exclus des processus d’élaboration de ces lois, de la négociation et de la signature des traités, etc., ce qui peut les décourager de s’y conformer », a dit à IRIN Ashley Jackson, chercheuse sur les groupes armés auprès du Groupe de travail sur les politiques humanitaires de l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI).

L’ONG Appel de Genève, basée à Genève, a élaboré trois Actes d’engagement (Deeds of Commitment, DoC) pour les groupes armés, incluant une interdiction des violences sexuelles et un appel à protéger les enfants des conséquences des conflits armés.

Le premier Acte d’engagement de l’ONG, en 2000, avait pour objectif de faire respecter par les groupes armés le traité d’interdiction des mines, une convention internationale interdisant l’utilisation et le stockage des mines antipersonnel. Ces efforts ont d’abord été considérés comme vains par certains militants en faveur de l’interdiction des mines antipersonnel. De nombreux gouvernements étaient par ailleurs convaincus que les groupes armés signeraient le document, mais qu’ils ne feraient rien pour en respecter les dispositions. Or, 42 groupes armés ont signé l’Acte d’engagement contre l’utilisation de mines antipersonnel de l’Appel de Genève et s’y sont conformés, autorisant du même coup les contrôles et les vérifications internes et externes.

L’ONG prépare un manuel de formation dans lequel sont condensées 15 règles humanitaires essentielles pour les groupes armés, incluant notamment le respect des acteurs humanitaires et le traitement humain de l’ennemi. Si le conseiller juridique de l’organisation Jonathan Somer a dit ne pas envisager l’élaboration d’un Acte d’engagement semblable à celui qui a été utilisé pour les mines antipersonnel, il a cependant ajouté que « rien n’avait été décidé ou exclu pour l’instant ».

Aucun groupe n’est infréquentable


« Le respect de nombreuses règles du DHI est difficile à évaluer et nécessite jugement et considération. On peut notamment penser au principe de proportionnalité en matière de victimes civiles, aux mesures de précaution lors des attaques et à la notion de nécessité militaire impérative. Même avec les mécanismes de surveillance disponibles, il est très difficile de déterminer si des violations ont été commises », a dit M. Somer à IRIN.

« Dans ce contexte, un Acte d’engagement concernant le respect du DHI en général poserait de nombreux défis de taille. Nous procédons étape par étape. Mais il est malgré tout important de promouvoir le DHI en général […] et que [les groupes armés] assument la responsabilité de sa mise en œuvre en interne », a ajouté M. Somer.

Ceux qui proposent une plus grande collaboration avec les groupes armés sur les questions du droit humanitaire international et des droits de l’homme ne font aucune distinction entre ces groupes.

Dans un article publié en 2010 et intitulé Taking Armed Groups Seriously: Ways to Improve their Compliance with International Humanitarian Law [Prendre les groupes armés au sérieux : comment améliorer leur respect du droit humanitaire international], le professeur Marco Sassòli, directeur du département de droit international à l’université de Genève et président du conseil de fondation de l’Appel de Genève, a dit que le fait de considérer un groupe armé comme infréquentable « signifie que ceux qui en ont le plus besoin sont privés de tout effort de protection simplement parce qu’ils sont aux mains d’un groupe dont les objectifs ou les méthodes sont fermement rejetés [par la communauté internationale] ».

« De toute façon, plus les acteurs armés non-étatiques qui respecteront les normes internationales seront nombreux, plus il sera difficile pour les autres de justifier le non-respect de ces normes », a dit M. Somer.

Selon Mme Jackson, de l’ODI, « Même dans les groupes plus extrémistes, il peut y avoir des membres ou des dirigeants locaux qui comprennent les raisons d’avoir des lois même en temps de guerre. Et il est tout aussi important de se rappeler que ces groupes évoluent dans le temps. Par exemple, la Layha, le code de conduite des talibans afghans, a été révisée au cours des dernières années et certaines des dispositions les plus dommageables, comme les ordres d’incendier les écoles ou d’interdire toute relation avec les ONG, ont été abandonnées. »

Lors d’un séminaire internet organisé par le Programme sur la politique humanitaire et la recherche sur les conflits de l’université de Harvard et la Revue internationale de la Croix-Rouge en avril 2012, Zama Coursen-Neff, directrice adjointe de la division des droits des enfants de l’organisation Human Rights Watch (HRW), a dit : « Certains groupes armés veulent absolument que leurs actions soient perçues comme étant conformes à la loi. [Même si] ils ne se préoccupent pas de la loi elle-même, ils se soucient de la perception [du public]. »

Ces groupes incluent notamment les rebelles libyens qui ont renversé le gouvernement de Mouammar Kadhafi et les rebelles maoïstes indiens qui ont justifié les attaques commises contre les écoles en disant qu’elles étaient occupées par les forces du gouvernement. Après que les recherches menées par HRW ont révélé qu’il n’y avait aucune présence militaire dans les écoles et que les ONG et les médias locaux ont mis en doute la nécessité de telles actions, les attaques contre les écoles « ont diminué », a dit Mme Coursen-Neff.

Les groupes armés sont-ils ouverts aux pratiques du DHI ?

Des éléments du droit humanitaire sont souvent déjà présents dans les sociétés en conflit. Les Somaliens ont le ‘Biri ma Geido’ [épargnés par la lance], un code de guerre traditionnel qui exige que certaines catégories de personnes soient protégées pendant les conflits, notamment les femmes, les enfants, les personnes âgées, les poètes et les négociateurs de paix, entre autres. Ce ne sont cependant pas tous les groupes armés qui adhèrent à ce code.

Si les croyances religieuses et les valeurs morales d’une société peuvent parfois imposer des limites aux comportements acceptés en situation de conflit, elles peuvent aussi, dans certains cas, aller à l’encontre du DHI.

« Les pillages et les enlèvements et asservissements de civils observés dans le sud du Soudan pendant la guerre civile ont été menés par des cavaliers qui venaient principalement – mais pas exclusivement – de tribus arabes qui, traditionnellement, considèrent ces pratiques comme normales en situation de guerre », indique M. Bangerter dans son article publié en 2011.

Les groupes armés peuvent décider de respecter le droit humanitaire pour toutes sortes de raisons allant des convictions personnelles ou des relations publiques aux avantages militaires qu’il peut supposer, a-t-il dit. « Les mouvements marxistes qui disent lutter pour le bien du ‘peuple’ ont souvent un code de conduite qui interdit un certain nombre d’actes comme le pillage sous toutes ses formes, les mauvais traitements envers les civils et les prisonniers et les actes de violence envers les femmes. »

D’un autre côté, l’avantage militaire peut aussi être considéré comme une raison de ne pas respecter le droit humanitaire. Des enfants-soldats peuvent être utilisés pour consolider les forces d’un groupe armé et des tactiques de terreur ou des boucliers humains de civils peuvent être employés pour compenser sa faiblesse militaire relative.

M. Bangerter suggère de s’inspirer de l’approche de la carotte et du bâton du Code pénal suisse pour promouvoir le respect du DHI. « S’il criminalise le financement du terrorisme en imposant [aux contrevenants] une amende et/ou une peine de prison allant jusqu’à cinq ans, [le Code pénal] déclare aussi que les personnes qui collectent ces fonds ne peuvent être punies ‘si le financement est destiné à soutenir des actes qui ne sont pas en contradiction avec les règles du droit international applicable en cas de conflit armé’. Cet article donne aux groupes armés qui souhaitent collecter des fonds dans un pays aussi prospère que la Suisse une raison sérieuse de respecter davantage le DHI. »

go/am/rz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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