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La vie sans pétrole

[Chad] A maze of pipes moves crude oil around at Kome oilfield, southern Chad. The project is being touted as a test case to prove that petro-dollars can benefit the poor. Esso Photo
Un labyrinthe de tuyaux sert à acheminer le pétrole depuis le sud du Tchad vers le site d'exportation au Cameroun
Le Soudan du Sud, l’un des pays les plus pauvres au monde, qui dépend à 98 pour cent des revenus du pétrole, a pris en janvier la mesure drastique de suspendre sa production de brut alors que le conflit sur les frais de transit avec le Soudan, son ennemi durant la guerre civile, se trouvait dans l’impasse.

Même avec les revenus du pétrole, les difficultés auxquelles est confronté le pays le plus jeune du monde sont monumentales : plus de vingt ans de conflit ont entravé tout développement substantiel d’infrastructures ; la production agricole est bien inférieure aux besoins et il existe un risque réel de crise alimentaire grave, car l’aide alimentaire est insuffisante pour combler cette lacune ; les services de sécurité de l’État n’ont pas réussi à mettre un terme au conflit intercommunautaire, notamment dans le Jonglei, l’État le plus grand et le plus densément peuplé du Soudan du Sud ; des dizaines de milliers de civils soudanais se sont réfugiés au Soudan du Sud pour fuir les affrontements dans les régions frontalières entre l’armée soudanaise et des rebelles qui entretiennent des liens historiques étroits avec le pouvoir sud-soudanais ; et, privées de leur droit de résidence, des centaines de milliers de personnes originaires du Sud et vivant au Soudan vont vraisemblablement devoir quitter le pays.

Alors que les autorités soudanaises et sud-soudanaises se retrouvent en Éthiopie pour engager de nouvelles négociations sous l’égide de l’Union africaine (UA), IRIN fait le point sur la question du pétrole.

Dans quelle mesure la production de pétrole a-t-elle été suspendue?

La sécession du Sud en juillet 2011 a privé le Soudan des trois quarts de sa production, soit d’environ 350 000 barils par jour. Entre juillet et décembre 2011, la valeur de la production s’est élevée à 3,2 milliards de dollars. Le pétrole est transporté vers le nord par oléoduc jusqu’aux terminaux portuaires soudanais. Un accord sur le partage des revenus et des coûts, qui reste encore à déterminer, est donc essentiel pour les relations d’après-guerre entre les deux pays.

La production a été suspendue par le Soudan du Sud, qui se plaignait des redevances exigées par le Soudan, bien supérieures aux normes internationales et au montant d’un dollar par baril que le Soudan du Sud était prêt à payer. Il accusait également Khartoum d’avoir « volé » environ

815 millions de dollars de pétrole brut. Le Soudan du Sud a déclaré qu’il ne relancerait sa production qu’après avoir obtenu le remboursement de cette somme.

Le Soudan affirme avoir confisqué ce pétrole en guise de « paiement en nature » des frais de transit non acquittés. Les deux pays ont signé un traité de non-agression le premier jour des nouveaux pourparlers dans la capitale éthiopienne, Addis Abeba, le 10 février, après que leurs dirigeants avaient menacé de reprendre les hostilités. Depuis, le Soudan du Sud a accusé son voisin d’avoir bombardé une ville frontalière contestée à peine deux jours après la signature du traité.

Quand la production pourrait-elle reprendre?

Le processus de suspension de la production, qui a duré deux semaines, impliquait de rincer le pétrole visqueux des oléoducs avec de l’eau. Relancer le débit ne prendrait pas plus de « deux ou trois jours », selon Hago Bakheed Mahmoud, responsable des opérations sur le terrain pour Petrodar, un groupe sino-malaisien intervenant dans l’État du Nil supérieur.

Selon des analystes indépendants du secteur, relancer complètement les exportations pourrait prendre jusqu’à un mois, voire davantage. « Toute décision de reprise de la production dépend du Nord. Les principales raffineries ne se trouvent pas au Soudan du Sud, alors il faudrait redémarrer tout cela aussi », a dit Egbert Wesselink, directeur de la Coalition européenne pour le pétrole au Soudan.

Outre le différend relatif au pétrole, les relations entre les deux voisins restent tendues au sujet de la démarcation frontalière, des allégations de recours à des milices dans les conflits armés des deux côtés de la frontière et du statut futur de la région d’Abyei.

Le Soudan du Sud a conclu des accords avec le Kenya pour la construction d’un oléoduc de 2 000 kilomètres vers le futur port de Lamu et d’un autre traversant l’Éthiopie pour atteindre le port de Djibouti, sur la mer Rouge, dans l’espoir d’acquérir une « indépendance économique » envers son voisin du nord.

La construction de l’oléoduc kényan prendrait au moins 18 mois – trois ans selon certains analystes – et coûterait trois milliards de dollars.

Southern Sudanese soldiers from the Sudan People's Liberation Army (SPLA) parade through Juba in May 2009 for celebrations to mark the 26th anniversary of the start of Sudan's civil war
Photo: Peter Martell/IRIN
La part du lion : selon les estimations, le Soudan du Sud consacre 40 pour cent de son budget à la défense
Comment le gouvernement va-t-il faire face à cette perte de revenus?

Le gouvernement du Soudan du Sud, de loin le plus gros employeur du pays, dépend de la manne pétrolière pour payer ses fonctionnaires et son armée grandissante (la SPLA), qui absorbe environ 40 pour cent du budget de l’État. Les analystes en matière de sécurité estiment que le budget alloué à la défense par le Soudan du Sud s’élève à 2,1 milliards de livres sud-soudanaises (600 millions de dollars), dont 80 pour cent sont réservés aux salaires.

Le ministère des Finances a annoncé qu’il prévoyait de faire passer, dans les six prochains mois, les recettes fiscales autres que douanières de 13 millions de livres sud-soudanaises (3,7 millions de dollars) par mois à 40 millions de livres (11,4 millions de dollars) en appliquant de manière plus rigoureuse la législation fiscale et en luttant contre la taxation illégale généralisée et l’importante évasion fiscale.

« Cela ne représente toujours que cinq pour cent ou moins des dépenses mensuelles du gouvernement avant l’interruption [de la production], mais c’est suffisant pour certains services essentiels », a dit le ministre des Finances, Kosti Manibe.

Il est difficile de déterminer ce que sont exactement ces « services essentiels ». Le gouvernement a dit que la SPLA, qui a bénéficié d’augmentations salariales non négligeables en avril 2011, ne sera touchée par aucune coupe budgétaire.

En outre, il a été interdit aux migrants, qui constituent la majorité des commerçants dans les villes du Soudan du Sud, d’envoyer de l’argent en dollars chez eux. Des instructions ont été données à cet effet aux entreprises financières telles que Western Union.

Le gouvernement a également annoncé qu’il mettrait en place une série de « mesures d’austérité », mais peu de détails ont été révélés concernant des coupes budgétaires en particulier.

En quoi l’arrêt de la production va-t-il affecter la population?

On craint que parmi les quelque 300 000 personnes qui travaillent actuellement dans l’armée, la police et le service de la faune, certaines puissent mettre en péril la sécurité des civils si leurs salaires cessent d’être versés. On redoute également que les divisions internes à caractère ethnique et entre les vétérans et les anciens rebelles recrutés récemment dans le cadre des accords de paix puissent dégénérer et conduire à de nouvelles révoltes. Des soldats non rémunérés seraient encore moins efficaces qu’ils le sont actuellement lorsqu’ils interviennent dans les conflits intercommunautaires tels que ceux du Jonglei.

En dehors de la capitale, Juba, et d’autres villes importantes, les revenus du pétrole ne semblent pas améliorer les conditions de vie ou les services essentiels.

Les travailleurs humanitaires craignent néanmoins que la suppression de ce revenu n’aggrave la situation de la population.

Si le pays ne tire plus de revenus du pétrole, « de nombreuses personnes en subiront les effets. Les besoins humanitaires vont inévitablement augmenter et les efforts conjugués du gouvernement, de la communauté humanitaire et des bailleurs de fonds seront insuffisants. On ne peut ignorer l’ampleur de cette crise », a dit Valerie Amos, coordonnatrice des secours d’urgence des Nations Unies, lors d’une visite récente à Juba.

« La situation dans l’ensemble du pays est extrêmement précaire et le risque d’une dérive dangereuse est réel », a-t-elle averti.

Sorghum on sale at Rubkona market in Unity State
Photo: Jane Some/IRIN
La hausse du prix des denrées alimentaires a déjà provoqué des manifestations
Les Nations Unies et leurs partenaires ont lancé un appel pour récolter 763 millions de dollars pour le Soudan du Sud en 2012. Mme Amos a mis en garde contre les « conséquences désastreuses » que cela aurait si les capacités du gouvernement et de la communauté humanitaire n’étaient pas améliorées et si les approvisionnements n’étaient pas en place avant la saison des pluies.

Selon une évaluation du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le nombre d’habitants du Soudan du Sud en situation d’insécurité alimentaire est passé de 3,3 millions en 2011 à 4,7 millions en raison du conflit, de la baisse de production, de l’augmentation de la demande et de la hausse des prix.

L’évaluation a averti que le nombre de personnes considérées comme étant en situation d’insécurité alimentaire « grave » pourrait doubler et atteindre 2 millions si le conflit continuait d’engendrer des déplacements massifs de population.

La demande devrait par ailleurs augmenter considérablement si les centaines de milliers de personnes originaires du Sud et habitant actuellement au Soudan sont forcées de revenir après la date-butoir imposée par Khartoum et si le conflit dans les États soudanais du Nil bleu et du Kordofan du Sud conduit à une forte augmentation du nombre de réfugiés traversant la frontière.

Le déficit céréalier pour 2012 est estimé à 470 000 tonnes métriques, soit près de la moitié de la consommation totale nécessaire pour le pays en un an.

Outre les faibles récoltes, l’approvisionnement en nourriture a été perturbé par la fermeture de la frontière avec le Soudan, le mauvais état des routes, l’augmentation du prix des carburants et la dépréciation de la devise nationale.

La hausse du coût de la vie a déjà entraîné des manifestations et des révoltes étudiantes.

Déjà lourde, la charge de travail des organisations humanitaires pourrait augmenter lorsque les coupes budgétaires prévues par le gouvernement seront mises à exécution. L’incertitude plane concernant certains programmes comme l’éducation, pour lesquels les financements des bailleurs de fonds dépendent des contributions du gouvernement. Or, il est impossible de prendre des décisions tant que les détails de ces mesures d’austérité ne seront pas annoncés.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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