« Sept stations de radio indépendantes ont dû fermer leurs portes à cause du manque de personnel ou ont été reprises par les belligérants. C’est un miracle que les autres stations soient toujours opérationnelles », a dit à IRIN Mohamed Lajiifiyaana Banaan, un journaliste de Mogadiscio, lors de la Journée mondiale contre l’impunité, le 23 novembre.
Burhan Dini Farah, journaliste à la radio, a dit : « Je n’ai pas vu ma famille depuis dix mois à cause des menaces de mort proférées contre moi. Il est difficile d’identifier l’ennemi. Vous recevez un appel ou un message disant ‘nous savons où vous habitez et où vous travaillez’ et c’est tout ».
M. Farah a ajouté qu’il restait dormir au bureau certains soirs ou allait parfois chez des amis. « Je dois me déplacer constamment et ne jamais faire deux fois le même trajet ».
Depuis 2006, il a perdu 10 amis et collègues. « Leur seul crime était d’avoir fait leur métier de journaliste ».
M. Farah a même rencontré, une fois, deux jeunes hommes qui avaient été envoyés pour le tuer. « Ils ont été très ouverts et m’ont dit que j’étais une cible, mais qu’ils ne s’intéressaient plus à moi maintenant ».
Selon Mohamed Abdi, qui écrit pour un site internet somalien, les journalistes radio ne sont pas les seules victimes : même les reporters en ligne sont affectés.
« Les Somaliens écoutent beaucoup la radio, mais ils naviguent aussi de plus en plus sur Internet. Cela crée beaucoup de problèmes pour les gens comme moi qui avaient l’habitude de se cacher derrière les écrits », a dit M. Abdi.
Il a précisé que les parties en conflit dans le pays savaient presque toujours qui écrivait quoi, ajoutant : « C’est la Somalie ici : il n’y a pas de secrets ».
M. Abdi a par ailleurs ajouté que plusieurs de ses collègues avaient abandonné la profession à cause de la menace qui pèse sur eux. « Or c’est notre métier, et c’est la seule façon que je connais de gagner ma vie », a-t-il conclu.
Mohamed Ali Aasbaro, un membre exécutif de l’Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ), a dit à IRIN que le harcèlement et l’intimidation de journalistes étaient monnaie courante à Mogadiscio. « Chaque côté cherche à vous intimider et à vous persuader de ne rapporter que ce qui lui est favorable ».
Absence d’enquête
D’après M. Aasbaro, Mogadiscio est sans doute le lieu de travail le plus dangereux au monde.
Selon l’Indice de l’impunité du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) pour 2011, seul l’Irak occupe un rang plus élevé [que la Somalie] parmi une liste de pays où les meurtres de professionnels des médias sont courants et ne font l’objet d’aucune enquête.
« Nous ne sommes du côté de personne ; nous allons continuer de raconter l’histoire de la Somalie et des Somaliens, les bons comme les mauvais » |
Il a par ailleurs ajouté que ceux qui pensaient pouvoir persuader les journalistes de se ranger de leur côté se trompaient. « Nous ne sommes du côté de personne ; nous allons continuer de raconter l’histoire de la Somalie et des Somaliens, les bons comme les mauvais ».
Sous le couvert de l’anonymat, un activiste de la société civile a dit que les deux parties au conflit – le gouvernement et les insurgés – étaient coupables de harcèlement et d’intimidation à l’égard des journalistes. « Quant aux meurtres, ils ne sont commis que par Al-Shabab. La milice islamiste est le seul groupe qui s’est fait un devoir de cibler les journalistes et de les tuer ».
Il a ajouté qu’en règle générale, le gouvernement procédait à des arrestations ou fermait les stations de radio [gênantes], mais qu’aucun meurtre de journaliste commis par les autorités n’avait été rapporté jusqu’à présent. « Il est inutile de cibler les journalistes. Vous en tuez ou en chassez un et il en surgit un autre pour combler le vide ».
Il a par ailleurs précisé que l’objectif des belligérants était de faire taire les journalistes et de s’assurer que leurs crimes ne seront pas rapportés et utilisés contre eux à l’avenir.
« C’est grâce à des journalistes somaliens que le monde a d’abord entendu parler de la famine. Ces gens se sont rendus dans des endroits où ils auraient certainement été tués si ceux qui géraient [la région] avaient appris ce qu’ils y faisaient », a indiqué M. Aasbaro, ajoutant que « sans eux, l’histoire des victimes de la famine n’aurait jamais été connue ou elle aurait été rapportée trop tard pour venir en aide à plusieurs ».
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