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Les espoirs déçus des migrants africains à Istanbul

Frank, a Cameroonian migrant, has struggled to find work in Istanbul Michael Kaplan/IRIN
Frank, migrant camerounais, a le mal du pays
Dans un café quelconque de l’un des quartiers d’Istanbul les plus délabrés, des migrants originaires d’Afrique regardent un match de football congolais sur fond de musique afro-pop poussée à plein volume.

« On se sent à l’aise ici. Tout le monde vient du Cameroun ou du Congo », explique Patrick, chef d’une organisation informelle de la communauté camerounaise, à IRIN. « Mais en dehors de ce restaurant, la vie est très dure pour nous. »

Patrick, qui n’a pas souhaité donner son nom complet, ne savait pas grand-chose de la Turquie jusqu’à son arrivée il y a trois ans. Il avait seulement entendu qu’il était possible de trouver du travail à Istanbul, que la politique du pays en matière de visas était plutôt clémente et qu’il était donc plus facile de s’y rendre que dans n’importe quel autre pays européen. Mais après trois ans de petits boulots occasionnels et mal payés, Patrick regrette : « J’ai eu tort de venir ici, ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. »

Si ces dernières années l’attention des médias et des organisations humanitaires s’est davantage tournée vers l’afflux de 1,7 million de réfugiés syriens en Turquie, le nombre de migrants africains en quête d’opportunités économiques a lui aussi augmenté. Certains parviennent à trouver un emploi stable, mais nombreux sont ceux qui se plaignent du manque d’offres d’emploi, des mauvaises conditions de vie, de l’exploitation sur le lieu de travail et du racisme.

Il n’existe pas de statistique sur le nombre d’Africains vivant actuellement en Turquie, mais certains quartiers d’Istanbul, notamment certaines parties de Yenikapi, d’Osmanbey, d’Eminonu et de Kurtulus, attirent particulièrement les Africains. Les plus nombreux seraient ceux qui viennent de Somalie et du Nigeria.

Brigitte Suter, chercheuse principale à l’université suédoise de Malmö et qui a publié une thèse sur les Africains à Istanbul, attribue l’accroissement de leur présence aux agitations politiques qui tourmentent plusieurs pays africains, au renforcement des relations diplomatiques entre la Turquie et certains États d’Afrique et au développement des réseaux professionnels et personnels africains à Istanbul.

« Aucun de mes informateurs ne savait quoi que ce soit sur la Turquie avant d’arriver », a-t-elle expliqué. « Nombre d’entre eux ont même été surpris que tout le monde n’y parle pas anglais. »

Peu d’opportunités d’emploi pour les Africains

De nombreux Africains interrogés par IRIN ont dit qu’ils avaient mis des mois avant de trouver suffisamment de travail pour se nourrir et se loger. Le temps de chercher, ils avaient souvent épuisé leurs économies et dépendaient soit du soutien d’un réseau d’Africains à Istanbul, soit de leurs proches au pays qui leur envoyaient de l’argent.

Si la Turquie accorde relativement facilement des visas d’entrée, il est difficile d’obtenir un permis de travail et de nombreux migrants restent après expiration de leur visa de touriste. Or, en tant que clandestins et sans maîtrise de la langue turque, ils sont facilement exploités par leurs employeurs.

Frank, 24 ans, est arrivé du Cameroun il y a environ trois mois après avoir payé un agent censé lui trouver un emploi et un visa de travail. Il s’agissait en réalité d’une escroquerie. Depuis, il n’a trouvé que deux emplois temporaires : pour l’un, il n’a été payé qu’une fraction du montant que l’agent lui avait promis qu’il gagnerait, et pour l’autre, il n’a pas été payé du tout.

De nombreux migrants trouvent un emploi informel par le biais de leurs compatriotes. Les Sénégalais sont connus pour vendre dans les rues des articles tels que des lunettes de soleil ou des portefeuilles ; les Nigérians travaillent souvent dans le textile et le commerce ; et les Camerounais ont tendance à vendre des vêtements. Certains survivent grâce à des petits délits ou à la prostitution.

À Istanbul, de nombreux migrants africains travaillent dans l’économie informelle

Même avec un emploi, il leur est souvent difficile de gagner suffisamment d’argent pour en envoyer dans leur pays — ce qui est pour beaucoup d’entre eux la principale raison de leur venue en Turquie. 

Certains sont même obligés de demander à leur famille restée en Afrique de leur envoyer de l’argent, ce qui va à l’encontre du motif même de leur voyage. 

« La vie était bien meilleure au Cameroun », a dit Frank. « Il y a trop de rats et de souris », a-t-il dit en parlant de l’appartement qu’il partage avec neuf autres Camerounais.

« Avant, je mangeais trois ou quatre repas par jour, maintenant, je n’ai que du riz et du jus de fruit. »

Accaparées par le flux constant de réfugiés provenant de Syrie qui épuisent une grande partie de leurs ressources, les organisations humanitaires sont peu nombreuses à travailler auprès des migrants africains. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) offre un soutien économique et juridique aux migrants pouvant bénéficier du droit d’asile jusqu’à ce qu’ils soient réinstallés dans un pays tiers (la Turquie n’autorise que les réfugiés d’autres pays européens à rester) et plusieurs associations humanitaires proposent des soins d’urgence, de la nourriture et des vêtements aux femmes et aux enfants.

L’amertume ambiante s’est amplifiée quand le gouvernement turc a commencé à délivrer des permis de travail temporaires aux Syriens fin 2014. 

Selon les migrants interviewés par Mme Suter, la société turque en générale n’est « pas habituée aux noirs ».

Plusieurs migrants ont dit à IRIN avoir été touchés par des Turcs intrigués par leur couleur de peau et une femme a dit que le harcèlement sexuel n’était pas rare.

« Ce n’est pas un pays pour les noirs », a commenté Frank.

Tentatives de passage en Grèce

De nombreux Africains viennent en Turquie dans l’espoir de se rendre ailleurs en Europe, tandis que d’autres décident de poursuivre leur voyage parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi stable à Istanbul. Cela fait des dizaines d’années que la Turquie est un lieu de transit pour les migrants qui souhaitent se rendre en Europe, mais la crise syrienne a alimenté encore davantage l’industrie des passeurs.

Fin 2014, Eloi, lui aussi originaire du Cameroun, a payé environ 2 100 dollars pour passer de la Turquie à la Grèce, mais son bateau a été intercepté par les autorités turques et forcé à faire demi-tour. Lui et les 43 autres migrants à bord — des Syriens, des Irakiens, des Afghans et d’autres Africains — ont été placés en rétention pendant deux semaines avant d’être libérés.

« C’était terrifiant », a dit Eloi. « Mais je vais devoir réessayer. J’ai peur de vieillir ici. »

Les traversées vers l’Europe sont extrêmement dangereuses. Au cours des deux premiers mois de 2015, d’après le HCR, près de 400 personnes sont mortes en tentant de traverser la Méditerranée.

 « La plupart des gens y parviennent », a dit Chris, un Nigérian qui met des migrants en contact avec des passeurs contre une commission. « Pour environ 2 000 euros, selon ce que vous voulez, vous pouvez atteindre la Grèce [par voie terrestre] depuis Edirne ou [par bateau] depuis Izmir […] mais c’est à vos risques et périls. »

Un accord de réadmission passé entre la Turquie et l’Union européenne stipule que les non-Européens pris à passer clandestinement en Grèce peuvent être renvoyés en Turquie. Certains migrants se retrouvent ainsi à la case départ, à Istanbul.

Frank espère éviter ce désagrément. Après avoir passé plusieurs mois à faire du porte-à-porte à la recherche d’un emploi, il est prêt à rentrer chez lui, même s’il lui sera difficile de réunir l’argent nécessaire. « Je pense que c’est un gros risque d’aller [en Europe] et je ne peux plus rester dans ce pays », a-t-il dit.

« Je suis content d’être venu ici […] Maintenant je réalise que j’aime l’Afrique. »

mk/ks/rh-ld/amz 
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