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Les religieux musulmans tués par balle à Mombasa

Kenyan security personnel engaging in a street fight with rowdy youths outside the Masjid Musa Mosque in Majengo, Mombasa Jimmy Kamude/IRIN
Selon l’association de défense des droits de l’homme Haki Africa, plus de 21 religieux musulmans ont été abattus à Mombasa, ville portuaire du sud-est du Kenya, au cours des deux dernières années. Tous, sauf un, étaient accusés par le gouvernement d’être en lien avec le terrorisme et de soutenir l’insurrection d’Al-Shabab en Somalie.

Le gouvernement kenyan a énergiquement nié les allégations selon lesquelles les forces de sécurité seraient impliquées dans des exécutions extrajudiciaires. « Il est facile de montrer du doigt, mais ont-ils des preuves ? », a demandé à IRIN le préfet du comté de Mombasa, Nelson Marwa. Des associations de défense des droits de l’homme ont demandé une enquête sur ces assassinats.

Mombasa est un terrain de recrutement fertile pour Al-Shabab, qui utilise comme intermédiaire des mosquées et des religieux musulmans radicaux. Ces derniers présentent le conflit transfrontalier comme une forme de djihad, ce qui constitue une cause stimulante pour de nombreux jeunes. « Dans la chasse aux adeptes, les modérés semblent perdre la bataille visant à s’attirer les faveurs des jeunes », a dit Hussein Khaled, d’Haki Africa. « L’assassinat d’imams soi-disant radicaux leur fait gagner en sympathie et en soutien. »

Le cheik Juma Ngao, du Conseil consultatif national des musulmans du Kenya, a qualifié ces recrutements de « trafic d’êtres humains au nom du djihad ». Selon lui, chaque jeune homme traversant la frontière rapporte au recruteur l’équivalent de 1 150 dollars. Et « ils ne ciblent pas les intellectuels, ils ciblent les pauvres », a-t-il ajouté.

M. Khaled a observé un accroissement de la colère, alimenté par le chômage et le sentiment de plus en plus aigu d’injustice chez certains musulmans de Mombasa, laissez-pour-compte d’un développement historiquement faussé, qui ont l’impression de ne plus « faire partie du Kenya ». La mort de chaque religieux dans des circonstances douteuses renforce d’autant plus la radicalisation. « Cela va maintenant au-delà de l’argent que peut gagner une recrue. Ils le font maintenant parce qu’ils estiment qu’ils se font harceler et tuer et qu’ils doivent riposter », a-t-il dit.

À Mombasa, il existe des frictions entre les religieux, divisés en différentes organisations en fonction de leurs convictions idéologiques. Le risque est donc de plus en plus grand d’être considéré comme appartenant au « mauvais » camp. Les « modérés » accusent les « radicaux » de préparer délibérément de jeunes hommes au combat au nom de l’islam, tandis que les salafistes condamnent le silence et l’absence d’indignation de la part de leurs coreligionnaires lorsque l’un d’entre eux se fait tuer.

Haki Africa a organisé trois rencontres pour tenter de combler ce « profond fossé d’incompréhension ». Selon M. Khaled, le consensus entre les deux camps se résumait à « laissez-nous pratiquer notre propre interprétation ».

« Ils disaient ouvertement qu’ils étaient pour le djihad et qu’ils allaient mourir pour [défendre l’islam] », a dit M. Ngao, présent aux réunions. « Ils ont dit “si vous ne nous soutenez pas, laissez-nous tranquilles, ne nous touchez pas. Mais si vous nous touchez, nous vous tuerons”. »

« Lorsque nous avons entamé le dialogue, nous ne comprenions pas ce que ces jeunes traversaient », a dit M. Khaled. « Vous ne pouvez pas vous dissocier de la discrimination et de la marginalisation de la région. Nous n’avions été exposés qu’à un aspect [du différend]. Le gouvernement doit donc encourager le dialogue inter et intrareligieux. »

Or, l’assassinat en avril du cheik Makaburi, figure de la mosquée Masjid Musa, au coeur de la controverse, a interrompu le dialogue. Le meurtre en juin du cheik modéré Mohamed Idriss, président du Conseil des imams et prédicateurs du Kenya, est largement perçu comme une vengeance de la mort de Makaburi.

L’assassinat en juillet de Shahid Bhat, alors qu’il rentrait chez lui depuis l’aéroport a ravivé encore plus les tensions. M. Bhat, homme d’affaires prospère, avait été arrêté et accusé d’avoir financé des opérations terroristes à Mombasa et sur la côte. Il s’est fait tuer à 200 m du commissariat de police de Changamwe.

Voici la liste des religieux et jeunes chefs de fil musulmans tués à Mombasa et aux alentours au cours des deux dernières années. Aucune arrestation n’a encore eu lieu dans le cadre de ces affaires.

10 avril 2012 : Mohamed Kassim

Le corps de Mohamed Kassim, associé à l’explosion de la station de bus Machakos, qui avait fait six morts et plus de 60 blessés, a été retrouvé dans une morgue de Kilifi, à plusieurs kilomètres de sa maison de Mombasa. Selon ses proches, il aurait été enlevé alors qu’il se trouvait dans un matatu (bus) dans le quartier de Likoni, à Mombasa, et aurait été jeté dans un autre véhicule avant de se faire tuer.

13 avril 2012 : Samir Khan

Le corps de ce religieux musulman a été retrouvé mutilé dans le parc de Tsavo, dans le comté de Taita Taveta, près de la route qui mène de Nairobi à Mombasa, trois jours après le signalement de sa disparition. Ancien confident du prêcheur musulman controversé Aboud Rogo Mohamed, cet homme de 39 ans faisait l’objet de plusieurs accusations liées au terrorisme devant les tribunaux de Mombasa. Il avait également été accusé d’être à l’origine de recrutements au sein d’Al-Shabab de jeunes des comtés de Mombasa et Kwale.

27 août 2012 : Aboud Rogo

Aboud Rogo Mohamed était sur les listes de sanctions des États-Unis et des Nations Unies, car il était soupçonné de soutenir les extrémistes somaliens d’Al-Shabab. Le Conseil de sécurité des Nations Unies lui avait interdit de voyager et avait gelé ses avoirs, car il aurait apporté un soutien financier, matériel, logistique ou technique à Al-Shabab. Le Conseil l’accusait d’être « le principal leader idéologique » du groupe kenyan Al-Hijra, également connu sous le nom de Centre des jeunes musulmans et considéré comme un allié proche d’Al-Shabab.

Il était accusé d’utiliser le groupe extrémiste comme moyen de radicalisation et de recrutement d’Africains parlant principalement le swahili pour mener des activités violentes en Somalie. Il était également poursuivi pour avoir comploté des attentats terroristes en Afrique de l’Est. Il s’est fait tuer sur la route entre Mombasa et Malindi, alors qu’il conduisait un véhicule transportant sa femme et d’autres membres de sa famille.

À la suite de ce meurtre, des manifestations ont éclaté dans plusieurs quartiers de Mombasa pendant deux jours, au cours desquelles de jeunes radicaux cherchant à se venger ont attaqué et tué plusieurs personnes, dont un agent de sécurité. Plusieurs églises ont été incendiées et des propriétés détruites. Le cheik prêchait dans la mosquée controversée Masjid Musa.

29 octobre 2012 : Omar Faraj et Titus Nabiswa

Omar Faraj, 30 ans, leader d’un groupe de jeunes musulmans, et Titus Nabiswa, 27 ans, originaire de l’ouest du Kenya et converti à l’islam, sont morts des suites d’une présumée fusillade. Selon l’adjoint du chef de la police de la province de la Côte, John Gachomo, la police aurait retrouvé deux grenades dans l’opération de Mwembe Tanganyika, dans le quartier de Majengo, à Mombasa. M. Nabiswa, qui avait été arrêté, a conduit les agents de l’unité de police antiterroriste jusqu’à son complice, Omar Faraj, à Majengo, où la police se serait heurtée à la résistance de ce dernier, ce qui aurait donné lieu à une fusillade. M. Nabiswa serait mort dans cet échange de tirs.

27 juin 2013 : Kassim Omollo


Selon l’unité de police antiterroriste, Kassim Omollo, qui a été abattu dans le quartier de Bakarani, à Mombasa, était un formateur d’Al-Shabab, un expert en explosifs et un complice de Jermaine Grant, Britannique suspecté de terrorisme, et du Kenyan Faud Abubakar Manswad, qui opèrerait depuis la Somalie. La police a signalé avoir saisi deux grenades, un pistolet, un fusil AK-47 et des produits chimiques servant à la fabrication d’explosifs dans la maison du défunt. Les policiers ont dit qu’il préparait un attentat terroriste à Mombasa. La police a également saisi de faux billets kenyans et des produits chimiques utilisés pour en imprimer, ainsi que des notes manuscrites exposant les grandes lignes de l’enseignement du djihad.

27 juin 2013 : Salim Mohamed Nero

Salim Mohamed Nero aurait été tué dans un échange de tirs avec les forces de police, selon ces dernières, dans le quartier de Kiembeni, à Mombasa, le même jour où Kassim Omollo a été tué. Selon la police, un AK-47, cinq chargeurs et 145 munitions ont été saisis.

3 octobre 2013 : Ibrahim Omar Ismail, Gadaffi Mohamed (Shebe), Omar Aburumesia et Issa Abdalla

Considéré comme le prédécesseur direct du cheik Aboud Rogo, Ibrahim Ismail a été tué par balle par des personnes que ses amis et confrères religieux pensent être des membres du personnel de sécurité du gouvernement. Il conduisait sur la route qui relie Mombasa à Malindi lorsque des hommes armés ont ouvert le feu sur son véhicule. Trois de ses amis, qui l’accompagnaient, sont eux aussi morts sur le coup : Gadaffi Mohamed (connu sous le nom de Shebe), Omar Aburumesia et Issa Abdalla.

Mi-juillet 2013, le service de renseignements national avait accusé M. Ismail d’avoir monté une cellule d’Al-Shabab dans le quartier de Mtopanga, à Kisauni, en périphérie de Mombasa, et d’avoir invité quatre djihadistes de Somalie fraichement formés à Mombasa pour comploter « une campagne d’attentats à la bombe » à Mombasa et Nairobi pour se venger du meurtre de M. Rogo en 2012.

3 décembre 2013 : Faiz Mohamed Rufai


Le corps de Faiz Mohamed Rufai, enseignant dans une école coranique de Malindi et ami proche d’Ahmed Bakshueni, a été retrouvé mort sur la plage de Mambrui, à Magarini, début décembre. Selon la police, il aurait été enlevé par des personnes soupçonnées d’être de jeunes musulmans radicaux dans la région de Ngomeni. Sa tête avait été coupée et son corps jeté dans l’océan Indien. M. Rufai aurait travaillé comme agent double pour un groupe terroriste et pour les forces de sécurité. Al-Shabab l’a accusé de trahison pour avoir donné des informations à des services de sécurité locaux et internationaux.

6 décembre 2013 : Suleiman Mwayuyu

Le cheik Suleiman Mwayuyu a été tué par balle lorsque des hommes armés ont attaqué un minibus qui se rendait de Mombasa à Ukunda. Selon les témoins, deux personnes conduisant une camionnette ont suivi le minibus depuis Mombasa avant de lui bloquer la route à Tiwi, entre Mombasa et Ukunda. Ils ont ordonné à tous les occupants de s’allonger et ont tué le religieux en lui tirant dans la tête et dans la nuque à bout portant. Le religieux travaillait comme tailleur dans le quartier de Msikiti Nuru, à Ukunda.

28 janvier 2014 : Ahmed Abdalla Bakshueni


Trois hommes en mobylette ont tué Ahmed Abdallah Bakshueni, leader d’un groupe de jeunes, à environ 200 m du commissariat de police de Malindi. M. Bakshueni venait de garer sa voiture devant son magasin lorsque trois hommes en mobylette se sont arrêtés et lui ont tiré trois balles dans la poitrine avant de s’enfuir. Selon des sources au sein de la police, M. Bakshueni se trouvait peut-être sur la liste noire d’un groupe terroriste pour avoir collaboré avec eux, le FBI, l’unité de police antiterroriste et la CIA en tant qu’informateur.

1er avril 2014 : Makaburi


Éminent religieux de la mosquée Masjid Musa, théâtre de troubles fréquents à Mombasa, cet agitateur âgé d’une cinquantaine d’années venait de sortir du tribunal de Shanzu, sur la route entre Mombasa et Malindi (ou plusieurs jeunes de la mosquée Masjid Musa étaient accusés d’activités djihadistes), lorsqu’il a été criblé de balles tirées à bout portant. Il avait dit que ce n’était qu’une question de temps pour qu’il soit assassiné par l’unité de police antiterroriste, qu’il a souvent accusée de le suivre et de le menacer.

Ardent défenseur d’Osama Ben Laden, Makaburi approuvait les attentats contre des églises et avait déclaré que l’attentat de 2013 contre le centre commercial Westgate, à Nairobi (revendiqué par Al-Shabab) était « justifié à cent pour cent ». Makaburi figurait lui aussi sur la liste des personnes visées par des sanctions des Nations Unies. Jermaine Grant, le Britannique soupçonné de terrorisme, et lui auraient pris la direction d’Al-Qaeda et de ses groupes affiliés au Kenya et en Afrique de l’Est après le meurtre de leur ancien frère d’armes, le cheik Aboud Rogo, le 27 août 2012.

10 juin 2014 : Mohamed Idriss


Des hommes armés non identifiés ont tué le président du Conseil des imams et prédicateurs du Kenya (CIPK), le cheik Mohamed Idris, à Likoni, Mombasa, alors qu’il se rendait à la prière du matin à la mosquée proche de chez lui. M. Idriss était également le président de la mosquée Sakina, à Mombasa, l’une des quelques mosquées de la ville qui s’étaient trouvées au coeur d’une lutte pour le pouvoir entre ses dirigeants et de jeunes radicaux qui voulaient prendre leur place. M. Idriss avait déclaré craindre pour sa vie après que des jeunes radicaux l’avaient menacé, lui et d’autres membres du CIPK. Le religieux était un militant de premier rang contre la radicalisation des jeunes et l’enseignement du djihadisme dans les mosquées de la région. Selon le chef des enquêtes criminelles de Mombasa, Henry Ondieki, M. Idriss pourrait avoir été tué par des personnes qu’il connaissait bien.

11 juillet 2014 : Shahid Bhat

Shahid Bhat a été tué alors qu’il revenait en voiture de l’aéroport Moi de Mombasa. Son fils, qui se trouvait lui aussi dans la voiture, n’a pas été touché. Homme d’affaires brillant, dirigeant d’une grande société de transport, M. Bhat avait été arrêté cette année et inculpé de financement du terrorisme dans la province de la Côte. Il avait nié cette accusation et avait été libéré sous caution.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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