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Le Kenya met la pression sur les réfugiés somaliens

Illegal migrants are deported to Mogadishu from Kenya (April 2014) Ahmed Hassan/IRIN
Les forces de sécurité kényanes continuent d’arrêter et de placer en détention des milliers de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile – des Somaliens, pour la plupart. Or, la répression exercée contre ces migrants risque de faire capoter l’accord conclu entre le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et les gouvernements kényan et somalien sur le rapatriement volontaire des réfugiés somaliens.

À la fin mai, le gouvernement somalien a annoncé qu’il n’assisterait pas à la rencontre qui devait avoir lieu avec le HCR et le gouvernement kényan pour lancer officiellement la Commission tripartite et discuter de la mise en œuvre de l’Accord tripartite. Cet accord, signé en novembre 2013, décrit les procédures pour le retour progressif et volontaire des réfugiés somaliens du Kenya. Le pays accueille actuellement environ 423 000 Somaliens ayant le statut de réfugiés.

La rencontre, prévue le 27 mai, devait être la première de la Commission tripartite. Les membres devaient s’entendre sur un certain nombre d’actions conjointes, notamment la mise en œuvre de la phase pilote d’un programme de retours volontaires qui était suspendu depuis plusieurs mois. En refusant d’y participer, la Somalie rompt le dialogue qui avait été engagé sur les retours volontaires au pays. La sécurité intérieure de la Somalie est actuellement perturbée en raison de l’offensive militaire menée conjointement par la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et l’armée nationale somalienne (ANS) contre Al-Shabab dans le centre-sud du pays. Des estimations récentes indiquent qu’environ 73 000 personnes ont été déplacées en raison de l’offensive militaire, y compris dans certaines des régions ciblées pour les retours volontaires dans le cadre de la phase pilote.

Pour expliquer sa décision de ne pas assister à la rencontre, la Somalie a cité « la détention et la déportation de réfugiés somaliens en situation régulière et irrégulière », ce qui est décrit comme contraire à l’esprit et à la lettre de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et, « plus important encore », de l’Accord tripartite.

Le commissaire kényan pour les réfugiés, Harun Komen, a répondu que la décision de la Somalie de ne pas assister à la rencontre était « fâcheuse ».

« Nous sommes toujours déterminés à mettre en œuvre l’Accord tripartite, mais Mogadiscio doit aussi montrer son engagement », a-t-il dit à IRIN. Il a ajouté que la plupart des rapatriés retourneraient dans la région somalienne du Jubaland et qu’il serait possible de « négocier directement avec l’administration du Jubaland ou de travailler en collaboration avec le HCR » si le gouvernement somalien ne parvient pas à faire avancer le processus.

Le HCR n’a pas commenté directement la décision de dernière minute de la Somalie, mais sa représentante pour la Somalie, Alessandra Morelli, a fait remarquer qu’« il faut, pour aller de l’avant, s’assurer d’engager un dialogue constructif et d’aborder tous les aspects des retours et de la réintégration en Somalie. La Commission tripartite est la plus importante tribune et la principale initiative en place pour s’assurer que les retours des réfugiés sont librement consentis et que ceux qui souhaitent rentrer en Somalie peuvent le faire dans la sécurité et la dignité. »

Arrestations et déportations

Depuis le lancement de l’opération Usalama Watch par le ministère de l’Intérieur kényan à la fin mars – une opération soi-disant conçue pour lutter contre le terrorisme –, on estime que plus de 4 000 personnes ont été arrêtées et détenues. La plupart d’entre elles sont des ressortissants somaliens qui habitent Eastleigh, une banlieue de Nairobi. Depuis le début du mois d’avril, quelque 2 000 réfugiés supplémentaires ont été envoyés dans les camps de réfugiés de Dadaab et de Kakuma et 359 Somaliens ont été déportés en Somalie sur des vols affrétés sur des appareils appartenant à des compagnies aériennes commerciales volant entre Nairobi et Mogadiscio.

L’opération Usalama Watch a été déclenchée à la suite d’une série d’attaques impliquant des grenades et des armes à feu survenues en mars à Mombasa et à Nairobi. Les attaques ont continué depuis le début de l’opération, qui a été lancée peu après la directive du gouvernement ordonnant aux réfugiés présents dans les zones urbaines de se réinstaller dans les camps de réfugiés isolés de Kakuma et de Dadaab – une directive contraire à un arrêt de la Haute cour kényane émis en 2013.

Selon Human Rights Watch (HRW), au moins trois des récents déportés étaient des réfugiés enregistrés et de nombreux autres avaient des raisons valides de demander l’asile. Ils n’ont pas pu le faire parce que le Kenya a cessé d’enregistrer les demandeurs d’asile urbains en décembre 2012.

Fowzia Hussein Da’ud fait partie de ceux qui ont tenté – en vain – de s’enregistrer comme demandeur d’asile à Nairobi. Elle était donc considérée comme sans-papiers. Elle a été détenue par la police kényane pendant 45 jours avant d’être déportée à Mogadiscio. « Je suis vraiment triste d’être séparée de mes deux enfants : ils sont restés à Nairobi avec des membres de ma famille. Je ne peux pas rester à Mogadiscio ; c’est ici que mon mari s’est fait tuer il y a six ans », a-t-elle dit à IRIN par téléphone depuis la capitale somalienne. Elle a ajouté qu’elle aimerait aller vivre en Ouganda, mais qu’elle ne peut pas se le permettre.

Selon HRW, les autorités kényanes pratiquent en réalité le refoulement, ce qui constitue une violation d’un des principes clés du droit international des réfugiés. Celui-ci interdit en effet l’expulsion forcée d’une personne vers un lieu où elle risque de faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves.

Les préoccupations sécuritaires pèsent plus lourd que la difficulté des conditions de vie

Depuis l’effondrement du régime de Mohamed Siyad Barre, en 1991, le Kenya a accueilli un grand nombre de réfugiés somaliens. Environ 35 000 d’entre eux vivent à l’extérieur des camps de réfugiés, dans des zones urbaines, et un nombre inconnu de ressortissants somaliens vivent au Kenya comme sans-papiers.

Les conditions se sont détériorées dans les camps de Dadaab au cours des dernières années. L’insécurité et la diminution des fonds versés par les donateurs ont en effet gravement affecté la capacité des organisations d’aide humanitaire à offrir leurs services. Les autorités kényanes ont par ailleurs imposé, en octobre 2011, un moratoire sur l’enregistrement de nouveaux réfugiés.

En dépit de la présence, à Mogadiscio, d’un gouvernement fédéral bénéficiant du soutien de la communauté internationale, la plupart des organisations d’aide humanitaire – incluant le HCR – s’entendent sur le fait que de vastes régions de la Somalie sont encore trop dangereuses pour accueillir les rapatriés. Dans le même temps, quelque 2,9 millions de personnes sont affectées par une crise humanitaire qui n’a récolté qu’une fraction des 822 millions de dollars de fonds nécessaires pour y répondre.

Le 2 juin, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a annoncé : « Le retard des pluies et les conditions météorologiques capricieuses en Somalie ont suscité des préoccupations quant à l’aggravation de la situation de la sécurité alimentaire, à mesure que les stocks de vivres de la dernière mauvaise récolte s’épuisent et que les prix poursuivent leur envolée. »

Mohamud Moalim Yahye, le ministre d’État somalien pour l’Intérieur et les Affaires fédérales, a récemment dit à l’agence de presse IPS que « la déportation non planifiée et non coordonnée, en particulier de jeunes, risque de créer le chaos et l’anarchie, car les ressources nécessaires pour les soutenir et créer des emplois pour eux ne sont pas disponibles. »

Par l’intermédiaire du programme pilote de retour, qui n’a pas encore été lancé, le HCR prévoit de fournir de l’aide à quelque 10 000 réfugiés pour retourner s’installer dans trois districts du centre-sud de la Somalie – Luuq, Baidoa et Kismayo – auxquels les organisations d’aide humanitaire (y compris le HCR) ont accès. Les bénéficiaires du programme obtiendront une allocation pour le transport, l’accès à des rations de vivres et à du matériel d’abri ainsi qu’une aide à la création de moyens de subsistance.

Le nombre relativement faible de réfugiés somaliens qui sont rentrés chez eux dans les trois premiers mois de l’année suggère que les conditions difficiles dans lesquelles ils vivent au Kenya sont, pour la vaste majorité d’entre eux, préférables à l’insécurité croissante qui règne en Somalie. Entre janvier et mars 2013, alors que la stabilité semblait se rétablir dans plusieurs régions du pays, près de 14 000 Somaliens ont traversé la frontière depuis le Kenya.

Cette année, pendant la même période, seuls 2 725 réfugiés ont fait le trajet et moins de 3 000 personnes se sont rendues dans les bureaux d’assistance au retour des camps de Dadaab, selon le HCR. Le nombre de retours a légèrement augmenté en avril (1 442) à la suite de la mise en œuvre des mesures répressives de l’opération Usalama Watch par les forces de sécurité kényanes. On estime que ces mouvements transfrontaliers sont généralement temporaires et dépendent des saisons des pluies et des activités agricoles dans le centre-sud de la Somalie.

Poussés à rentrer malgré eux?


Le manuel de rapatriement volontaire (Voluntary Repatriation Handbook, en anglais) du HCR décrit le principe du libre consentement comme « la pierre angulaire de la protection internationale en ce qui concerne le retour des réfugiés » et souligne qu’une décision réellement volontaire devrait être prise en considérant à la fois les conditions dans le pays d’origine du réfugié (facteurs d’attraction) et les conditions dans le pays hôte (facteurs de répulsion).

Le manuel indique par ailleurs que « le HCR devrait, de manière générale, s’assurer que les facteurs d’attraction positifs associés au pays d’origine pèsent plus lourd dans la décision des réfugiés de rentrer chez eux que les facteurs de répulsion potentiels associés au pays hôte ».

L’article 10 de l’Accord tripartite stipule également que la décision des réfugiés de rentrer en Somalie doit « être fondée sur un souhait librement exprimé ». Mme Morelli, du HCR, a ajouté que « les facteurs externes de répulsion qui pourraient compromettre le droit des réfugiés à prendre des décisions volontaires (et éclairées) quant à leur retour en Somalie devraient être évités ».

Plusieurs réfugiés avec qui IRIN s’est entretenu ont cependant dit que le harcèlement constant qu’ils subissaient de la part des forces de police depuis le début de l’opération Usalama Watch et la crainte de la déportation les avaient poussés à envisager un retour en Somalie.

« Je rentre à Mogadiscio alors que la situation sécuritaire y est encore chaotique, mais je n’ai pas d’autre choix », a dit Abdirahman Mohamed Jama, 42 ans, qui travaille dans une station de radio somalienne et vit dans la capitale kényane avec sa femme et ses quatre enfants depuis 2008.

« Les policiers sont venus à plusieurs reprises à notre appartement. Après que nous leur ayons montré nos papiers de réfugiés, ils nous ont passé les menottes, à moi et à ma femme, et ont menacé de nous amener au poste de police [si nous ne leur versions pas de pot-de-vin]. Nous leur avons donné de l’argent à plusieurs reprises, mais nous ne pouvons pas continuer comme ça. Nous sommes en choc, nous avons peur et nous ne dormons plus la nuit », a-t-il dit à IRIN. « Je dois quitter Nairobi avant d’être expulsé de force vers la Somalie ou séparé du reste de ma famille. C’est ce qui est arrivé à plusieurs de mes voisins somaliens. »

Rufus Karanja, responsable de programme auprès du Consortium des réfugiés du Kenya (Refugee Consortium of Kenya, RCK) a dit que « la façon dont l’opération [Usalama Watch] a[vait] été menée a entraîné l’émergence d’un facteur de répulsion négatif » qui incite certains Somaliens à rentrer chez eux plutôt que d’endurer le harcèlement incessant, les manœuvres d’extorsion et les arrestations arbitraires.

« On peut, à notre avis, parler de retour forcé, ce qui va à l’encontre de l’esprit et de l’objectif de l’Accord tripartite. Le document stipule en effet que le retour des réfugiés somaliens doit être volontaire et se faire dans la sécurité et la dignité », a-t-il dit à IRIN.

ks/am –gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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